La résistance
Les partisans du Parti du Salut de la nation (PSN) interpellent sans ambages les opposants de la politique de leur parti concernant son option de dialogue permanent avec le PPC, le Parti au pouvoir : pouvez-vous faire la politique autrement dans la situation politique au Cambodge d’aujourd’hui ? La négociation est le seul moyen pour contrôler le gouvernement par la voie de non-violence. Et le dialogue avec l’adversaire politique serait l’essence même de la démocratie. Le PSN est donc sur la bonne voie qui s'ouvre la perspective de la victoire dans la paix perpétuelle (Sic).
Avec cet « idéalisme bêlant » ces partisans intrépides ont inventé un nouveau concept de la politique : « l’inconstitutionnel constitutionnalité » du régime actuel. Et l’on sait que les deux partis, PSN et PPC, mettent en exergue le mot « paix perpétuelle » pour faire leur vouloir commun. La négociation, pour eux, serait donc une approche légitime des problèmes politiques d’aujourd’hui. Et pourtant tout le monde le sait que la paix dans le Cambodge d’aujourd’hui est dépourvue du bonheur pour le peuple khmer. Et le partage de pouvoir comme dirait l’autre n’est pas la démocratie, parce que le fondamental de celle-ci, c’est l’équilibre des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire). Bien sûr, personne ne demanderait à Sam Rainsy et Kem Sokha, leaders du PSN, de lever une armée pour faire une guerre utopiste contre le PPC. Mais quand ils ont manifesté leur volonté forte de faire la paix avec ce dernier contre la volonté populaire, c’est ce que l’on déteste en politique. Par la volonté populaire d’aujourd’hui, il existe une dualité fondamentale qui oppose la justice à la dictature, l’espace de la loi à celui de la terreur, les Démocrates aux Communistes. Cette volonté se faisait entendre partout dans le pays avec un seul slogan pathétique : le changement c’est maintenant. Mais avec une ignominie de ces deux leaders, elle transportait l’enthousiasme de gloire du peuple à la morgue.
Les expériences nous montrent que le « désir de paix » comme une seule ambition de pouvoir, à savoir la restauration de la monarchie et le partage de pouvoir en 1993, se découvre fragile et promis à la catastrophe s’il ne sait pas déjouer les pièges de la paix : ambition personnelle, corruption et dictature. Ainsi donc, cette « ambition monstre » n’a plus qu’à poursuivre sa route de défaite de la justice contre la dictature. Toute pratique mue par le désir de pouvoir (par la cupidité, l’ambition ou l’amour des richesses), toute pratique cherchant soit à conserver ou à acquérir plus de pouvoir est contraire au droit. Tout pouvoir, en effet, tend à l’absolu, toute puissance tend au maximum (en intensité et en extension, en unité et en totalité) de puissance, à la puissance souveraine et absolue. La puissance du pouvoir de la démocratie est la volonté du peuple souverain, régi par la loi du peuple, par le peuple et pour le peuple. La puissance du pouvoir totalitaire est la volonté d’un seul homme ou d’un groupe de personnes, régi par la volonté privée soit à conserver le pouvoir ou à acquérir plus de pouvoir. Ces deux pouvoirs ne peuvent coexister, ils s’excluent mutuellement et il n’y a pas de tiers pour juger d’un conflit entre deux volontés suprêmes. Le partage de pouvoir recherché par le PSN et PPC est donc contre nature et contraire au droit. Ce partage de pouvoir serait une association, de faire loi contre la loi, le droit d’être souverain au-dessus de la souveraineté du peuple.
Le vouloir commun de paix perpétuelle du PSN et PPC, est une paix sans la justice. Et cette paix n’est qu’un jardin bien clos où le peuple khmer vit indéfiniment dans la misère et les hommes au pouvoir respirent le plaisir, sans labeur ni pudeur. Cette paix, recherchée par ces deux partis, qui courbe et abatte l’espoir d’un peuple tout entier de vivre en Homme à sa première simplicité : la liberté. Parce que la liberté en effet n’est pas un combat ou une conquête, c’est une position à tenir et à retenir. L’emportement contre l’injustice qui menace la liberté n’est donc pas un soulèvement ni une insurrection. Il n’est pas non plus le pouvoir de se porter contre ou à l’encontre de l’Etat, de se rassembler et diriger ses forces contre l’ennemi.
L’emportement est un bougé sur place, un soulèvement qui se retient et se maintient indéfectiblement à sa place. C’est une intensité de forces qui cependant ne fait pas intention, qui ne vise pas à conquérir un pouvoir, qui jamais n’accomplit sa fin et ne touche son but. Dépourvu de finalité, un emportement n’est pas militaire ou militant. Il n’est pas armé, disposé et équipé pour l’exercice d’un pouvoir ; inorganisé, il ne peut faire masse ou armée. Mais il ne désarme pas non plus, il ne se démobilise pas, il ne dispose pas les armes, il proteste, il tempête, il réclame. Son obstination, sa ténacité, son courage à ne pas quitter sa place et, en même temps, à réitérer perpétuellement ses cris de colère et d’indignation lui donnent une force de résistance irrésistible, une puissance indéfectible. L’emportement est donc une vertu de résistance, et la résistance contre la dictature est une révolution non-violence, laquelle transformerait l’emportement en une force populaire et l’orienterait vers un but : la promotion du souverain bien comme bien commun du peuple.
Dans le cas du Cambodge d’aujourd’hui, la résistance ou la révolution non-violence ne doit pas inciter les citoyens aux armes, mais au droit, et à désobéissance civique. Elle ne doit chercher à abolir la loi présente, mais à revendiquer qu’elle soit appliquée intégralement. Résister, c’est refuser obstinément de consentir, c’est retirer son accord. Mais ce n’est pas dire « non » ou réserver son assentiment à d’autre principe de démocratie, à d’autres raisons non voulues par le peuple ou pour d’autres occasions offertes par le Parti au pouvoir. La résistance n’est pas une émeute, un assassinat, c’est une motion, un bougé, un tremblé, un tremblement. Elle ne vise pas à l’emporter sur un pouvoir plus fort (elle serait elle-même alors condamnée à occuper un jour le pouvoir) mais à placer la souveraineté du peuple au-dessus de tous les pouvoirs. La résistance est le « désir d’une paix armée », c’est-à-dire il n’y aura jamais un pouvoir suprême qui viendrait dominer la souveraineté du peuple. Certes la paix s’oppose à la violence, mais non pas à la dispute et au conflit pour lesquels il faut s’armer pour désarmer la violence. La paix armée n’est pas la condition de la démocratie, de la liberté et du développement, mais qui ne fait qu’un avec eux pour sa préservation. Il y a donc une différence fondamentale entre la paix perpétuelle, c’est-à-dire une paix arrangée dans un but de partager le pouvoir et la paix armée, émanation de la volonté du peuple. La résistance ou la révolution non-violence est donc une nécessité pour défendre la paix armée, c’est-à-dire l’équilibre de pouvoir, régi par la force de loi, née de la volonté du peuple souverain.