Le 15 mai 2008, un débat a été organisé par la radio France culture sur l’utilité de jugement des chefs historiques des Khmers rouges par un tribunal. Un invité, Père Ponchaud, prête catholique, auteur d’un livre, intitulé, le Cambodge - année zéro, a dit que «la population khmère ne voulait pas le tribunal, créé par l’ONU et le gouvernement khmer actuel, pour juger des chefs historiques des Khmers rouges, parce que 70 % des Khmers d’aujourd'hui sont nés après la fin du régime des Khmers rouges (1er janvier 1979). Norodom Ranariddh et Hun Sen, alors co-premier ministre du premier gouvernement du Cambodge post onusien, ont voulu sanctionner les Khmers rouges par un tribunal parce que ces derniers avaient refusé de participer aux élections législatives en 1991. Hun Sen mord aujourd’hui ses doigts, parce que dans son for intérieur, celui-ci ne voulait jamais créer ce tribunal pour raison que tout le monde le sait : il était aussi ancien Khmer rouge. Juger les chefs historiques des Khmers rouge, pour lui, c’est comme on ouvre une boite de pandore. Si on devait juger les Khmers rouges, il faut aussi qu’on juge des Américains qui avaient largué des tonnes de bombes tuant autant des khmers. Le jugement des chefs khmers rouges ne sert pas à grande chose pour la société khmère actuelle».
En coutant père Ponchaud, en tant que Khmer, j’ai éprouvé une sensation de douleur et de tristesse. Les raisons en sont multiples :
Pour commencer, je voudrai citer deux articles du Code civil français :
Art. 1382 : Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Art. 1383 : Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
1. La question du jugement des Khmers rouges par un tribunal n’est pas légère. C’est pourquoi, je préfère débattre avec père Ponchaud en toute liberté :
Comment un prêtre, intellectuel, vécu plus de deux décennies au Cambodge, peut oublier ces deux articles cités ci-dessus et ne pense même pas à un droit et devoir de mémoire pour un peuple qui est victime du crime commis par Pol Pot et ses hommes. Bien que 70 % des Khmers d’aujourd'hui qui ne connaissent pas le régime de Pol Pot, mais ils sont nés des parents qui ont été victimes de celui-ci. Donc, ils sont tous victimes du crime commis par des Khmers rouges. Il ne faut pas croire qu’ils ne voulaient pas que les chefs khmers rouges soient jugés, parce qu’ils n’en parlent pas. Ils souffrent fort depuis des années de leur propre silence parce que les chefs khmers rouges étaient reconnus, il y a quelques années, par tout le monde comme personnalités incontournables dans le processus de paix onusien. Leur revendication n’aurait pas été la bienvenue dans le contexte politique de l’époque. Aujourd’hui, un tribunal mixte est créé par l’ONU avec le gouvernement khmer pour juger les chefs des Khmers rouges. De quoi le tribunal doit répondre aux attentes des Khmers ? Pas grande chose :
- un droit de mémoire, reconnu par la loi, qui leur donne droit de parler librement de ce crime ;
- un devoir de mémoire, reconnu par la loi, qui leur oblige à garder ce crime en mémoire pour l’humanité et pour la société khmère.
Pour ouvrir ces deux droits, ce crime doit être jugé par un tribunal, parce que le jugement du tribunal ouvrira le droit au peuple khmer à la dignité, à la vérité et à la justice.
2. Comment père Ponchaud peut faire un lien entre le crime des Khmers rouges et le bombardement américain pendant la guerre au Cambodge ?
Je ne veux pas tomber dans le piège des Khmers rouges : ce n’est pas ma faute, c’est la faute des Américains qui ont aidé le Général Lon Nol (Président de la République khmère – 1970-1975) à destituer le prince Sihanouk. J’ai répondu à l’appel du prince pour combattre contre Lon Nol. J’ai tué des Khmers innocents, c’est à cause des Américains qui ont déclenché la guerre.
Khieu Samphan, ancien Chef de l’Etat du Kampuchéa démocratique (Etat des Khmers rouges – 1975-1978) dit la même chose. Il a écrit un livre, intitulé : l’histoire récente du Cambodge et mes prises de position (Edition L’Harmattant). Le but est de démontrer son «non coupable» : c’est pas moi qui l’ai fait, c’est Pol Pot qui est le seul coupable et responsable plus d’un million de morts des Khmers. Mon rôle était un employé de bureau.
Ce «non coupable» de Khieu Samphan nous montre bien la lâcheté d’un homme qui prétend être le défenseur des Khmers opprimés du régime de Sihanouk et ensuite de Lon Nol. En 1975, ces opprimés ont été assassinés par son propre régime dont il était le chef de l’Etat. Au demeurant, Khieu Samphan, docteur de Sorbonne, n’est pas seulement un lâche, il est aussi un menteur.
Si on devait juger des Américains parce qu’ils ont largué des bombes tuant des milliers de khmers innocents, il faut aussi juger la République socialiste du Viêtnam qui a aussi bombardé par ses canons et ses roquettes sur des villages et des villes khmers tuant aussi la population innocente. Je ne suis pas proaméricain et je suis non plus antivietnamien, je suis un des victimes des Khmers rouges et je ne partage pas l’opinion du père Ponchaud parce que le 17 avril 1975, la guerre fut terminée au Cambodge. Les Khmers rouges ont gagné la guerre et ils étaient le seul maître du Cambodge. Ils avaient tout le pouvoir et bien sûr, ils s’en servaient pour tuer délibérément plus d’un million des Khmers parce qu’ils n’étaient pas politiquement rouges comme eux. C’est sur ce crime que l’ONU veuille le juger.
Ne pas juger les responsables khmers rouges, pour moi, c’est comme on dépouille au peuple khmer le droit à la justice.
Srey Santhor