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19 juin 2008 4 19 /06 /juin /2008 12:20

 

Sirik Matak était, pour la famille royale, un apostat de son titre, droit, honneur et ses prérogatives princières. Il fut assassiné en 1975 par les Khmers rouges. Ses assassins athées ont voulu faire disparaître son corps pour effacer de la terre du Kampuchéa la mémoire d’un homme qui osait ouvrir la nouvelle page d’histoire avec la joie de la population, dont le mot «liberté» était écrit en caractère gras et souligné pour mettre un terme aux frasques aux siècles passés peu reluisants.

 

Démétrios, Conseiller du roi Alaric, proposait aux généraux Wisigoths après la mort de leur souverain, le vainqueur des romains, de faire disparaître de la surface de la terre toute trace du roi défunt. Voici ses arguments :

 

«Comprenez-vous que tout tombe et que les pierres s’écroulent ? Comprenez-vous que le souvenir qui s’attache à ce qui passe est un souvenir condamné ? Comprenez-vous qu’il y a quelque chose qui est plus fort que la parole : c’est le silence ? Quelque chose qui est plus fort que la présence : c’est l’absence ? Si vous voulez que, dans toute la suite des siècles, les générations successives conservent encore la mémoire de ce que fut Alaric, il faut confier la mort à la mort, le silence au silence et l’absence à l’absence. La seule tombe du roi Alaric doit être l’esprit des hommes qui se succèdent dans le temps, l’imagination qui n’en finit jamais de renaître de ses cendres et le souvenir du souvenir».

 

Comme le roi Alaric, Sirik Matak n’a pas de stupa pour faire sa dernière demeure car son trépas était un halo de gloire dans la mémoire des Khmers épris de la liberté. Rappelons-nous bien qu’en 1975, Sirik Matak dédaignait de quitter son pays à la demande des Etats-Unis, non pas pour s’accrocher au pouvoir, mais pour expirer en homme libre. Voici l’extrait de la réponse de Sirik Matak à l’ambassadeur des Etats-Unis à Phnom-Penh :

 

«Mais dites-vous bien que si je mourrais ici sur place et dans mon pays que j’aime, c’est tant pis, parce que tous les êtres naissent et meurent. J’ai seulement commis cette faute, celle de vous croire».

 

Dans sa réponse, Sirik Matak, le pieux individu, ne faisait que se référer à la racine de la loi Siddhâtha Gautama, le futur Bouddha : «tous les composés sont impermanents».

 

À la mort de Georges Sand, Victor Hugo envoyait un massage d’affection à son amie sans vie : «je pleure une morte et je salue une immortelle». Aujourd’hui, les Khmers républicains cessent sans doute de pleurer la mort de Sirik Matak pour laisser reposer son âme, qui s’est déjà libéré de toutes les expiations terrestres, mais ils continuent plus jamais de saluer son esprit immortel. Mais qui était donc ce citoyen hardi ?

 

Sirik Matak, dont le nom évoquait à la fois l'un des fondateurs de la République khmère et le héro homérique dans l’histoire contemporaine khmère, n’était que le petit-fils du prince Essaravong (fils du roi Sisowath). Il était né le 22 janvier 1914 du père Sisowath Ratthary et de mère roturière Yoeun. Le citoyen Sirik Matak était l’ancien élève de l’Ecole d’Administration cambodgienne (école fut créée par le protectorat français par l’ordonnance royale du 20 novembre 1917). Après deux années de formation, il débuta sa carrière dans l’administration publique. Il a été successivement Chef de district, puis gouverneur de province.

En 1952, il fut nommé colonel. Comme officier, il assuma les diverses hautes fonctions dans la hiérarchie militaire. Il était aussi un des membres fondateur du Parti de Rénovation khmère (ce parti fut créé par Lon Nol en 1947), dont les principaux objectifs étaient d’introduire des réformes nécessaires pour faire du Cambodge un Etat moderne, fondé sur des bases démocratiques solides, bien comprises et acceptées par le peuple souverain. Il était ambassadeur et plusieurs fois ministres. Bref, les riches d’expériences dans les différentes hautes fonctions de l’État lui permettent de fixer sa philosophie politique fondée sur la morale républicaine. La déposition du prince Sihanouk de chef d’État fut peut-être un fait improvisé dans le Cambodge à l’époque en convulsion, mais on savait que la fin de son régime était proche et il ne s’agit que d’une question de temps car on constatait et prouvait que le climat politique, économique et social du pays devenait étouffant.

 

En revanche, la proclamation du 9 octobre 1970 de la première république khmère n'était pas un évènement indécis. Elle méritait beaucoup de considération car elle était le résultat d’un développement conjugué entre la maturité de la pensée politique de la jeunesse khmère, la sagesse de Sirik Matak et sa famille d’idée.

Ce concours de circonstances fit naître une nouvelle force nationale qui souffla comme un ouragan amenant avec lui l’air du passé pour laisser après son passage un nouvel espace d’espérance afin que le peuple khmer puisse enfin respirer l’air de la liberté. Le temps, les choses et les hommes se rassemblaient avant, pendant et après l’orage en une seule force républicaine et Sirik Matak était présent dans ces circonstances historiques. Il était l'un des pionniers qui marchait avec confiance au premier rang des réformateurs avec un étendard à la main sur lequel, il écrivait trois mots universels qui ouvraient l’ère nouvelle pour le Cambodge : liberté, égalité et fraternité.

Quand on était dans l’action comme celle-là, la seule chose qui restait à emplir les festivités démocratiques, fut la proclamation immédiate de la république du peuple et pour le peuple. Et c'était le cas, parce que Sirak Matak et ses amis politiques avaient construit leur fondation politique en suivant deux lignes : la ligne de rupture avec la monarchie millénaire et celle de la réforme profonde de la société khmère. La naissance de la République khmère n'était pas improvisée, elle était née de la volonté mûre des milliers des Cambodgiens qui refusaient de ne plus accepter la décadence de leur pays.

 

La révolution française n’était que la philosophie du XVIIIe siècle descendue des salons dans la place publique et passée des livres dans les discours, écrit LAMARTINE ; quant à la révolution khmère de 1970, elle était née de l’explosion de sentiment d’injustice du peuple qui est humilié depuis des siècles dans son rôle de sujet par les souverains incapables dans le Cambodge nanti.

Dans cette révolution sociale, Sirak Matak pensait que pour installer une démocratie réelle, il aurait fallu donner au peuple khmer la citoyenneté nouvelle fondée sur la liberté et les droits naturels de l’Homme. Je ne sais ce que vaut précepte de Sirik Matak, mais son courage montre avec quelle facilité un homme d’État audacieux pouvait balayer le pouvoir divin du prince Sihanouk. Il fallait que sa décision soit vraiment claire pour faireface à son cousin qui gouvernait en chef divin sur le peuple croyant.

Ce peuple est toujours opprimé depuis des millénaires par l’obscurantisme des souverains déifiés. Le professeur Keng Vannsak écrit un vers en cambodgien pour présenter fidèlement l’état de la population khmère : «Naître par les larmes, grandir par la faim, avec comme seul bien : la pauvreté et la maladie comme compagnons – soutien jusqu’à la mort afin d’endurer le même destin : vivre en tant qu’esclave».

 

Pour Sirik Matak, le peuple khmer a le droit et devoir de se rebeller contre son destin car il possède sans doute l’intelligence pour soustraire à l’autorité de la tradition surannée. Etre bouddhiste comme des millions autres Cambodgiens, Sirik Matak s’incarnait déjà une manière de démocratie. Il entendait que la souveraineté résidait et avait toujours résidé dans le peuple et c’est ainsi qu’il aimait fredonner la chanson des révolutionnaires anglais : «Quand Adam piochait, quand Eve filait, qui donc était gentilhomme ?».

 

Sirik Matak représente aujourd'hui pour les Khmers républicains le maître à penser moderne khmer. Son esprit est battu en brèche par ses ennemis de classe et de caste. Je me pose aujourd’hui donc, la question : est-ce que la critique comminatoire des contempteurs de Sirik Matak est-elle encore crédible quand je vois le Cambodge d’aujourd’hui est emmuré à l’Est par le Vietnam, à l’Ouest par la Thaïlande et à l’intérieur la mort lente lui attend.

 

À part sa gentillesse légendaire et son courage exemplaire qu’est ce que le citoyen Sarik Matak, homme de cœur, courtois, affable et fort chaleureux, avaient fait au cours des cinq années de la République khmère ? :

 

-          Mener une guerre de résistance et de libération nationale contre l’invasion des Nord-vietnamiens et des Vietcongs ;

-          Défendre le Bouddhisme contre le Communisme ;

-          Réformer la société khmère.

 

Ces réformes étaient heurtées à la maladie endémique de la société khmère qui est appelée la «corruption». Pendant les cinq années de la République khmère, les communistes de tous bords surent exploiter au mieux cette maladie de la société à leur profit.

Et dieu sait combien, j’ai beaucoup de peine de voir qu’un grand nombre des intellectuels khmers étaient tombés dans ce piège car au lieu de considérer la corruption comme problème de société, ils ont cru naïvement comme un abus du régime républicain.

Et au lieu de donner un coup de main pour extirper la tumeur de corruption du corps de la société khmère, ils ont préféré attendre l’arrivée au pouvoir des hommes de Pol Pot qui sont venus pour massacrer les Cambodgiens. Ces hommes de savoir ont oublié que le germe de corruption est dans le sang de chacun de nous car il constitue un facteur déterminant dans le déclin du Cambodge depuis 600 ans.

 

J’ai une conviction que le citoyen Sirik Matak n’est pas mort pour rien car le peuple khmer d’aujourd’hui devient dans son esprit un peuple républicain, malgré la restauration de la monarchie khmère.

 

 

Lettre de Siri Matak à l'ambassadeur Dean :

" Excellence et cher ami. Je vous remercie pour votre lettre et pour votre offre de m'emmener vers la liberté. Je ne peux , hélas, partir de façon aussi lâche. En ce qui me concerne, et votre grand pays en particulier, je n'ai jamais cru un seul instant que vous auriez le coeur à abandonner un peuple qui a choisi la liberté. Vous nous avez refusé votre protection et nous n'y pouvons rien. Vous partez, et je souhaite que vous et votre pays trouviez le bonheur sous le ciel. Mais dites-vous bien que, si je devais mourir ici, sur-le champ et dans mon pays que j'aime, cela n'aurait pas d'importance, car nous devons tous mourir un jour. Je n'ai commis qu'une seule erreur : celle de croire en vous, les Américains.
Veuillez agréer, Excellence et cher ami, mes meilleurs sentiments d'amitié."


 

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