3 octobre 2009
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La monarchie ancienne khmère.
I. Le corps, l’esprit de la monarchie ancienne khmère :
M. J. BOISSELIER (archéologue) a créé un cadre historique khmer qui nous donne un aperçu d’ensemble des périodes historiques cambodgiennes. Il est classé en quatre périodes :
- La période préhistorique et protohistorique ; la période founanaise ou première période historique qui débute avec l’apparition des premiers témoignages sur l’indianisation du pays (Ie siècle). Elle s’achève avec le règne de Kaudinya-Jayavarman (478-514), avant dernier roi Fou-Nan (le Fou-Nan : le royaume, de vocation agricole et maritime, semble avoir exercé son hégémonie sur une grande partie de la Péninsule de l’Asie Sud-Est).
- La période pré-angkorienne qui début par le règne de Kaudinya-Jayavarman et s’achève avec le règne de Jayavarman II (802--850), promoteur de la royauté angkorienne (selon les annalistes chinois, un royaume vassale, le Tchen-La, d’origine septentrionale et de vocation continentale, se libère (fin VIe à VIIe siècle) de la suzeraineté du Fou-Nan qu’il l’absorbe en même temps et étend son autorité sur les autres feudataires. Le manque de cohésion, les rivalités amènent, dès le début du VIIIe siècle, une sécession en Tchen-La de terre et Tchen-La d’eau dont le caractère anarchique favorisera les desseins de Jayavarman II).
- La période angkorienne. Elle commence avec le règne de Jayavarman II. L’œuvre de réunification et de centralisation ne sera réalisée que par son second successeur Indravarman 1er et parachève par le fils de ce dernier, Yasovarman 1er ; fondateur d’Angkor (Yasodharapura), dernières années du IXe siècle. L’abandon d’Angkor en tant que capitale (1431 AD), sous la pression siamois, marque la fin de cette période de grandeur ininterrompue (au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle).
- La période post-angkorienne. Elle prolonge jusqu’à nos jours. Cette période est caractérisée par l’adoption définitive du Bouddhisme Theravada (Sources : Asie du Sud-Est Tome I : le Cambodge par J. BOISSELIER sous la direction de G.COEDES – Edition A.J. PICARD et Cie).
A. Le corps ou la structure de la monarchie khmère.
Nous trouvons dans l’ancien Cambodge deux dynasties, lunaire et solaire. Aux évènements rapportés par les auteurs chinois correspond une tradition, selon laquelle la dynastie lunaire était issue de l’union d’un Brahmane Kaundinya et d’un Neak (Nâgî), appelée Somâ, fille du Neak Reach (Roi du dragon). La seconde dynastie (solaire) descend du couple Kambu-Mérâ. Vers 550, les rois de Tchen-La, appartenant à la dynastie solaire (Kambu-Mérâ), se libéraient de la domination du Fou- Nan et l’annexèrent au VIIe siècle. Pour créer un lien entre les deux dynasties, les rois de Tchen-La revinrent à la légende dynastique lunaire (Kaundinya-Somâ). Un texte épigraphique du Xe siècle évoque l’union de la race solaire de Kambu avec la race lunaire, dont l’une avait pour totem le serpent et l’autre, l’oiseau mystique, Krouth (Garuda).
Ces légendes indiennes mêlées d’éléments autochtones n’appartenaient pas au seul du Royaume de Fou-Nan. On les racontait à peu près la même chose dans l’ancien royaume du Champa, ceux de Java et de Logor. Dans tous les royaumes fleurissaient des civilisations apparentées, mais nettement différenciées.
La monarchie khmère est un système politique ou une organisation de pouvoir. Elle est tantôt exaltée, portée aux nues, sanctifiée. Elle est tantôt regardée comme mauvaise par nature. Sa déification ou son exécration s’exprime à travers une multitude d’actions des rois. En tant que système politique, elle possède une structure.
À partir du XIVe siècle en Occident, juriste et théoriciens de la politique conçoivent le royaume par analogie avec le corps humain comme un corps politique, comme un corps mystique. Le Roi et ses grands officiers recouvrent eux-mêmes à cette métaphore organique. Le concept correspond à ce que tous pensent être « structure du royaume ». La substance de celui-ci est faite de l’ensemble diversifié des sujets et leurs activités différenciées ; mais elle est ordonnée par une forme, l’autorité royale, qui dirige et coordonne la vie du corps politique. Le Roi est ainsi le cœur, la tête ou l’esprit, en vue d’une finalité, celle de l’ordre du royaume. La théorie khmère des sept éléments constitutifs de l’État ou de la structure du Royaume.
Au Cambodge, les auteurs des inscriptions sanscrites se réfèrent souvent à une célèbre théorie hindoue (elle était connue au Cambodge dès l’époque préangkorienne (IIIe au VIIe siècle), d’après laquelle l’État ou la structure du Royaume est constitué de 7 éléments : le Chef de l’État ou Roi (Svâmin), les officiers (Amâtya), la population et le territoire (Janapada), la ville fortifiée (Durga), le trésor (Koça), l’armée (Danda), l’allié (Mitra). (Source : Sachchidanand SAHAI : les institutions politiques et l’organisation administrative du Cambodge ancien Vie-XIIIe siècles).
Malgré leurs divergences d’opinion sur l’importance relative de chacun des 7 éléments, les traités indiens accordent la première place au roi comme en Occident. De même, les auteurs khmers considèrent le roi comme l’élément principal.
Les titres royaux :
Le nom de sacre, terminé en Varman, est précédé par les titres propres à la dignité royale. Dès l’époque préangkorienne, l’usage protocolaire est d’ajouter le terme Dava au nom du roi. À l’époque angkorienne, il est appelé Kambujabhûmideva. Cependant, ce terme « Deva » n’est pas réservé exclusivement au roi ; les Moha Montrey (grands dignitaires ou fonctionnaires) et les Brâhmanes y ont également droit. Quant aux titres en langue khmère, nous constatons une évolution sensible de l’époque préangkorienne à celle d’Angkor.
Dans la première période, le titre de Vrah Kamratân Aň est indifféremment décerné au roi, aux Brâhmanes, et aux divinités. Le roi ne semble pas avoir, à cette époque, un titre qui puisse le distinguer des Moha Montrey et des divinités (une inscription préangkorienne emploi le titre Vrah Kamratân Aň (Kamradeng ou Kamratân = le puissant) pour Bhavavarman 1er (fin du VI e siècle), Mahendravarman (600-615) et Içâvarman (616-635).
À l’époque moderne, le terme Kamratân est utilisé dans deux expressions : Kamratân Krala (le seigneur de la maison) et Kamratân Krom (le seigneur de la surface inférieur (le roi). Le titre de Preah Bayda (Vrah pâda) est apparu seulement à l’époque angkorienne. Yaçovarman 1er (889-900), au début de son règne de son règne prtait encore le titre Dhûli Jen Kamratân Aň. Semble-t-il, que l’expression Dhûli Vrah Pâda s’ajoute un peu plus tard au nom du roi. Grâce à l’expression Preah Bayda, le titre royal se distingue de celui des Moha Montrey, des Brâhmanes et des divinités. Très rarement, le roi est qualifié de Preah Karunâ ou de Paramavitra. Ce titre est employé seulement à notre époque moderne. La titulature de Sûryavarman 1er (vers 1001-1049) est marquée par l’emploi fréquent du titre Kamratân dénotant une descendance en ligne maternelle.
Les titres de la famille Royale :
- Obhayoreach, le roi qui abdique ;
- Oparach, qui est soit le frère cadet du roi, soit un prince ;
- Preah Voreachini ou Preah Tévi, la reine ou reine-mère ;
- Preah Kêvea, qui peut être soit le fils cadet, soit le fils aîné ou encore le genre du roi ;
- Preah Ang Mias, Neak Ang Mias (Princes et princesses de la maison royale).
Je renvoie donc les lecteurs au livre de M. KHIN Sok (Le Cambodge entre le Siam et le Vietnam, publié par l’Ecole Française d’Extrême-Orient dans la collection de textes et documents sur l’Indochine XVIII e siècle).
Les Montrey :
La monarchie ancienne khmère avait besoin comme toutes les monarchies anciennes dans le monde d’une organisation ou corps politique permanent muni d’un système hiérarchisé, lui permettant d’appliquer les ordres du roi. Ce corps politique permanent des fidèles, n’est que les Montrey.
Je ne traduits pas ici le mot « Montrey » d’origine sanskrit par le mot « Mandarin », parce que je ne veux pas céder à la facilité des orientalistes qui confondent le Mandarin chinois avec le Montrey khmer. Le mot « Mandarin » ne se présente pas avec toute la rigueur du sens du mot « Montrey » cambodgien. D’abords le mot « Montrey » a déjà plusieurs sens en cambodgien : un intellectuel ou celui qui possède le savoir ou celui qui dirige une affaire d’Etat ou celui qui possède l’honneur ou celui s’est distingué tout simplement du Reas (homme du peuple) par son titre de dignité. Un Montrey est un état d’esprit ou formation de mentalité. Il appartient à un groupe intrinsèquement différent du Reas.
Les Montrey se forment en une catégorie sociale fermée fondée sur propre préférence, sa norme et ses corollaires. Elle est un but en soi, car on devient Montrey pour acquérir deux choses : le pouvoir et la richesse. Il y deux points qui nous permettent de déceler la distinction pertinente entre le mandarin chinois ou vietnamien et le Montrey khmer, les conditions d’affiliation et les relations entre les Montrey et leur souverain :
Les conditions d’affiliation :
Dans la Chine ou le Vietnam ancien, la voie d’accès au titre de mandarin était démocratique et fondée sur la morale confucéenne. Tous les lettrés (les instruits) désiraient accès au titre de mandarin pouvaient participer au concours, lequel était organisé au niveau national par la maison impériale. Quant au titre de Montrey, la voie d’accès était assurée par les liens de parenté. Pour devenir Montrey, il y avait une seule possibilité : Etre le fils d’un Montrey. Un père Montrey avait exercé tous ses influences ou par le subterfuge afin que son fils puisse devenir à son tour un Montrey.
Dans le Cambodge ancien, on était Montrey de père en fils. Les hommes du peuple voyaient en Montrey comme un « Neak Mean Bonn » (celui qui a reçu un mandat céleste). Ce concept est fondé sur le principe fataliste du Bouddhisme : l’Homme est le produit de ses activités passées : « C’est écrit sur mon crâne », disent souvent les Cambodgiens. Ce concept est un bel instrument d’harmonie sociale et de stabilité au profit des Montrey.
M. SAY Bory, dans sa thèse pour le doctorat de spécialité en science en administrative, soutenance en 1974 (Administration rurale du Cambodge et ses projets de réforme), a voulu donner son point de vue sur la conception de « Neak Mean Bonn », dont voici un extrait :
« Celui qui a le Bonn (mandat céleste) est appelé dans la coutume khmère « Neak Mean Bonn ». Cette conception, nous appelons « conception évènementielle » puisqu’elle détermine l’origine du pouvoir par un événement insolite quasi- inexplicable, par la raison pure. Nous préférons l’expression « conception Neak Mean Bonn » à la « conception évènementielle », car pour nous, Khmers, cela se comprend tout de suite, sans avoir besoin d’autres explications ».
La conception « Neak Mean Bonn » permettrait de légitimer tout pouvoir en place, qu’il soit d’origine divine ou populaire. C’est peut-être le corollaire de la théorie de résignation que les dirigeants khmers de l’époque ancienne voulaient inculquer à la masse dans le but de ne pas briser l’unité du peuple par trop divergences dans les conceptions de pouvoir. Celles-ci étaient réservées uniquement au groupe dirigeants, c’est-à-dire les Montrey.
Les relations de pouvoir entre les Montrey et leur souverain : Le Roi étant maître et l’unique propriétaire du royaume, il nommait et révoquait à son gré les Montrey. La pratique d’une autorité absolue du roi devait à chaque fois référer à la loi coutumière du pays.
Les Moha Montrey (Grand Montrey) avaient une attribution spéciale, l’obstacle légale, mais impuissants, aux volontés de Sa Majesté, qui consiste dans le droit de rappeler au souverain sur certains oukases royaux, qui sont contraires à la loi coutumière. Si le roi ne tenait pas compte de leurs observations, ils le laisser faire, parce que la règle traditionnelle dit que la parole du roi est comme la foudre, comme le diamant (terrible, respectable, précieuse). Celui qui transgresse la décision royale sera condamné à une amende proportionnelle à sa dignité, conformément à la loi.
M. Khin Sok, historien khmer, commente dans son livre sur ce point que l’histoire khmère a démontré que cette loi n’a pas empêché certains principes, ou Moha Montrey de s’élever contre les décisions royales insensées ou absurdes, ou contre un roi ayant une mauvaise conduite, dont voici un parmi de nombreux exemples à citer :
" En 1586, le Roi Satha (1579-1595) fit couronner ses deux fils, Chey Chétha et Poňéa Tân, âgés alors respectivement de 11 et 6 ans. En même temps, il éleva son frère cadet, Srei Soriyopor à la dignité d’Oparach. Cette décision fut mal accueillie par certains Montrey, qui la considéraient contraire à la coutume : « la coutume ne peut pas, sans raison valable, être confiée à des princes en bas âge ; de plus, Srei Soriyopor était considéré comme étant le plus apte pour succéder au roi sur le trône. Il en résulte que, lors de l’invasion siamoise en 1594, les Moha Montrey ne se firent plus un devoir de défendre le pays. Ainsi le général chargé de défendre la province de Siemreap, lorsque l’armée siamoise arriva à Battambang, décida de se retirer avec ses troupes à Pursat, parce qu’il ne voulait pas risquer sa vie pour un roi qui n’avait plus conscience morale". Ce fut une des principales causes de la prise de Longvêk (ancienne capitale khmère de cette époque).
C’est ainsi que le pouvoir des rois khmers peut revêtir à la fois un aspect redoutable et fragile, dominant un jour un royaume pour finir balayé par un souffle ou un mécontentement des Montrey. Quant aux relations de pouvoir entre empereur chinois et ses mandarins, elles étaient fondées sur la morale confucéenne : le respect scrupuleux de l’ordre et de l’empereur. Il est impossible à la cour impériale chinoise de laisser ses mandarins de faire observer à l’empereur sur les décisions impériales.
Il en résulte que les Montrey khmer formaient une strate de pouvoir qui partageaient toutes sortes de privilèges avec leur monarque et certains Moha Montrey portaient les mêmes titres que leur souverain, tels que Samdech et Poňéa.
Les titres des Moha Montrey et des Montrey :
Selon Khin Sok, les Samdech et Okňa sont des Moha Montrey et les autres Chao Poňéa Preah, Luong, Khun, Moeun, Neay sont considérés comme Montrey (Fonctionnaires moyens et subalternes).
B. L’esprit de la monarchie khmère :
Il est considéré par les spécialistes comme une pensée influencée par celle de l’Hindouisme et du Bouddhisme. Cette argumentation est fondée sur un concept très simple : l’indianisation de la culture khmère. À partir de cette idée savante, on sait que tout devient simple pour les chercheurs car pour en savoir davantage sur la pensée monarchique khmère, il suffit pour eux d’étudier d’abords les lois de Manu ou la philosophie bouddhique et ensuite de les transposer dans la pensée traditionnelle des rois du Cambodge.
C’est cet effort qui conduit Madame Yvonne BONGER, Sachchidanand SAHAI et autres illustres chercheurs. Ce sont eux aussi qui ont organisé le collage d’une masse fragmentée de l’histoire du Cambodge, parmi la connaissance de cette antiquité perdue dans les annales de l’histoire de l’humanité et enfin guidé l’art de la représenter comme une histoire convenue. Ainsi l’histoire de la monarchie est construite. Son cadre est tracé.
Il y a donc des sujets de thèses qui ont été guidés dans cette pensée unique, laquelle est vue comme un seul miroir où se mire la connaissance savante de nos jours. Faut-il dire que l’histoire des rois khmers n’est qu’un mélange de la science savante, c’est-à-dire le savoir rationnel et tout un héritage culturel dont la découverte de la civilisation angkorienne a multiplié les possibilités de tous les exégètes des ouvrages sculptés sur les monuments historiques ?
Pour ma part, je ne reconnais pas de pensée unique en histoire. Cette interrogation m’oblige, encore une fois, à commenter la pensée monarchique des rois de mon pays, comme dit Michel FOUCAULT (les mots et les choses) : « La tâche du commentaire, par définition, ne peut jamais être achevée. Il est donc normal que mon interprétation ici n’est jamais achevée et toujours ouverte aux nouvelles éventualités.
La cohabitation entre l’Hindouisme et le Bouddhisme :
Comme dans le cadre de mon essai est basé sur l’adaptation de la culture indienne (Hindouisme et Bouddhisme) à la vie des Khmers, il est intéressant de connaître comment l’Hindouisme et le Bouddhisme se cohabitaient dans le Cambodge d’antan. Voici, en bref, cette association : Le Bouddhisme, né dans un milieu hindou et issu en quelque sorte de l’Hindouisme, devait toujours, même en se détachant de celui-ci, garder quelques aspects communs basés l’un et l’autre sur le dogme de la transmigration. Le Bouddhisme admet le Karma et Samsâra, le fruit de l’acte et la métempsychose. Mais, il rejette l’autorité védique et nie l’absolu du Brâhmane. Cette contestation est profonde car elle est non seulement dans la question des rites, mais encore dans les théories indiquant le chemin de la délivrance.
Il y a sans doute une identité de rapport car les Brâhmanes considèrent le Bouddhisme tantôt comme une pensée sulfureuse tantôt comme une branche de l’Hindouisme. Max Müller s’efforce de découvrir (les germes du Bouddhisme) juste dans les Upanishads, qui sont des fondements essentiels de l’orthodoxie hindoue. Mûller rajoute qu’il n’y a aucune contradiction entre l’Hindouisme et Bouddhisme. Les différences entre les deux doctrines, pour être légitimes, ne peuvent être qu’une simple affaire d’adaptation, ne portant toujours que sur des formes d’expression plus au moins extérieures et n’affecte aucunement les principes mêmes ; l’introduction de la forme sentimentale dans le Bouddhisme est dans ce cas, du moins tant qu’elle laisse subsister la métaphysique intacte au centre de la doctrine. On rencontre à Java un Shiva-Bouddha qui témoigne d’une semblable association poussée entre les deux doctrines.
Il faut noter que l’Hindouisme comme le Bouddhisme, en sortant de l’Inde, se sont modifiés dans une certaine mesure et de façon diverses, et, d’ailleurs, ils devaient forcément se modifier ainsi pour s’adapter à des milieux très différents ; mais toute la question est de savoir jusqu’où vont ces modifications. Au Cambodge, le Bouddhisme, dans certains cas, a véritablement servi de « couverture extérieure » de l’Hindouisme, ce qui a permis au second de rester toujours fermé. Par exemple, pendant les règnes des rois bouddhistes d’Angkor, ils pratiquent le Mahâyâna et à partir du XIIIe siècle, sous l’influence du Siam, le Mahâyâna allait être progressivement évincé du Cambodge par le Hînayâna. On constate que la Cour Royale continuait de pratiquer scrupuleusement les rites de l’Hindouisme.
Cet usage permet aux souverains et aux Brâhmanes de se rappeler que d’une part, ils appartiennent toujours à des castes supérieures au Reas khmer (petit peuple) et d’autre part, la personne du roi est toujours le Devarâja (Roi-Dieu) (en khmer, Kamraten Jagata Râja) sur terre, descendant direct de Jayavarman II (fondateur du culte du Roi-Dieu au Phnom Kulên). « Son Auguste corps est la lumière céleste qui irradie de tous les côtés pour éclairer l’ignorance du peuple indigent. Il est la fin suprême pour le peuple bouddhique khmer, car sa personnification est Lokeçvara irradiant (Seigneur du Monde) qui n’est que Mahaçvara (çiva) (sic) ».
Selon les textes chinois, l’Hindouisme et le Bouddhisme coexistaient déjà au Fou-Nan dès les premiers siècles de notre ère. Ils vivaient en bonne intelligence. Pourtant vers 671-695, le pèlerin chinois Yi-Tsing écrivait qu’il y avait une persécution du pouvoir sur les moines bouddhistes :
« Les gens y adoraient beaucoup de Devas. Puis, la loi de Bouddha prospéra et se répandit. Mais, aujourd’hui, un roi méchant l’a complètement détruite, il n’y a plus du tout de bonzes ».
Mais, en général, le Bouddhisme, au cours de son développement était toujours toléré par les rois khmers. En 953, un ministre de Rajendravarman faisait une fondation bouddhique à Angkor ; un peu plus tard, Jayavarman V (968-1001) protégeait ouvertement le Grand Véhicule.
En 1181, le roi Jayavarman VII, un Bouddhiste ardent, prenait possession de la royauté. Cette ascension marqua aussi l’expansion du Bouddhisme au Cambodge, mais elle n’excluait pas totalement le çivaïsme. Çiva et Lokeçvara étaient fréquemment confondus.
Mais l’acte capital de Jayavarman VII, c’est semble-t-il, d’avoir transformé le culte du Davarâja au début du XIIe siècle, en culte du Bouddha-Roi résident au Bayon, il fit sculpter la face de Lokeçvara Samantamukha (face partout) sur les gigantesques tours ç quatre visages du Bayon), centre effectif de sa capitale et centre symbolique du Royaume. On constate que le Bouddhisme ancien avait incorporé à sa mythologie les grands dieux de l’Hindouisme, mais en réduisant aux rôles secondaires de comparses ou d’acolytes ; par exemple, le Bayon est un temple-montagne ; chacun des tours est sculptée à la quadruple image du Bodhisattva Lokeçvara qui domine et protège des divinités brahmaniques telles que Visnou, çiva, Pâvatî ou Kâlî (épouse de çiva). Revenons à la théorie des sept éléments constitutifs de l’État : le Chef de l’État ou Roi (Svâmin), les officiers (Amâtya), la population et le territoire (Janapada), la ville fortifiée (Durga), le trésor (Koça), l’armée (Danda), l’allié (Mitra), car cette théorie nous permet sans doute de mieux comprendre l’esprit de la monarchie khmère.
Le Roi :
La domination et la possession étaient le fondement de l’esprit de la monarchie khmère. Le Roi apparaissait comme la personnification sur terre du Dieu du sol. Il possédait le pays et était Maître divin du peuple. Pour la monarchie khmère, il n’existait pas la frontière entre la terre et le ciel. C’est le sol qui détermine sa puissance royale et le ciel qui reçoit son mandat céleste pour assurer la concorde de l’ordre humain avec l’ordre cosmique. Il était l’être sublunaire et le Magistère du Royaume. Il possède deux instincts : sa conservation et sa croissance :
- Sa Conservation consiste à préserver ses traditions, à perpétuer la superstition. L’ordre est sa vie, la tradition est son dogme, la Nation est son héritage, les Montrey sont ses gardiens de l’ordre auprès de la population. Sa devise est : « Unité et Hérédité ».
- Sa Croissance consiste à augmenter son prestige et son pouvoir qui lui permet d’imposer sa domination. Ce fut la monarchie qui bâtit le temple d’Angkor pour le prestige royal, grâce au travail forcé. Le pouvoir est ses poumons, l’organe vital de la respiration de son corps royal. Pour vaincre ses ennemis des humains : la volupté (Kâma), la colère (Krodha), la cupidité (Lobha), l’orgueil (Mada), l’illusion (Moha) et la jalousie (Mâtsarya), il devait apprendre quatorze espèces de sciences : les quatre Véda (la tradition hindoue : Rig Véda, Yajur-Vêda, Sâma-Vêda et Atharva-Vêda), les six Vêdâgna (le membre du Véda ou sciences auxiliaires du Vêda), les Purâna, la Mimânsâ (la réflexion profonde, le Nyâna (la logique), le Dhatma (la doctrine).
Qu’un empire soit vaste et ses régions variées, le Roi ne pourra guère en l’absence de la télévision, se faire connaître sa personne de la masse de ses sujets. L’entreprendrait-il, qu’il reviendrait de ses voyages pour constater l’appropriation sans doute irrévocable du pouvoir par un ministre, un secrétaire ou un frère bien-aimé. L’ubiquité n’étant pas au nombre des facultés humaines, il n’y a qu’un moyen de tenir ferme le pouvoir sur l’immensité de l’Empire, c’est de se faire Dieu, c’est-à-dire présent en esprit dans tout lieu où un autel s’élève à la gloire du souverain.
Il y a trois éléments qui constituent la base de personnification du Roi-Dieu khmer : l’autorité paternelle du chef ou arbitre des conflits, l’autorité théologale, l’immortel et divin par la race, incarnation de dieu et finalement, dieu sur terre, l’autorité militaire ou pouvoir de ma guerre, on le consolide par la guerre, il est général en chef, l’expérimenté, l’habile, l’audacieux, et surtout le victorieux.Bien entendu, la monarchie revêt sa forme la plus pure quand un roi à accumuler et garder des pouvoirs aussi divers.
Le Roi Hun Tean possédait ces quatre éléments cités:« Selon la légende, le Brâhmane Hun Tean, venant de l’Inde par la mer, après sa victoire militaire sur la reine du Fou-Nan, Liv Yi (selon le professeur Keng Vansak, ce nom Liv Yi est l’altération du mot khmer, « Yay Neuv Leave » (Dame célibataire) qui se donnait autrefois à la première dame du royaume ou une femme âgée qui avait une charge d’un chef suprême de la société), grâce à son arc magique, avait civilisé sur le champ la société primitive khmère en couvrant le corps nu de la reine vaincue par une pièce d’étoffe. Il épousa Liv Yi et monta ensuite sur le trône avec l’approbation des Khmers".
Le Brâhmane Hun Tean se présentait donc aux autochtones comme prête et Chef de guerre. Prête parce qu’il avait apporté une nouvelle religion qui n’était que l’Hindouisme, et chef de guerre, parce qu’il avait imposé sa domination par la force. C’est cette combinaison de ces deux qualités que Hun Tean avait pu fonder, sans aucun doute, la plus solide monarchie au Cambodge.
Les conceptions du pouvoir du roi khmer :
Le professeur Claude GOUR, ancien professeur à la faculté de Droit et des Sciences Economiques de Phnom-Penh, écrit dans son livre (Institution s constitutionnelles et politiques du Cambodge) sur les diverses conception du pouvoir du roi khmer. Résumons les :
La conception brahmanique : Cette conception fait du roi khmer un intermédiaire qui assure la concordance de l’ordre humain avec celui du monde, l’ordre cosmique. Le Roi détient pour cela les secrets de la pratique du rite et du sacrifice qui constituent le moteur de l’évolution ordonnée de l’ordre universel, le moteur du rythme de l’Univers. Le monarque régnant est celui qui, dans son Royaume, est le titulaire de la puissance supra humaine, fondée sur la vertu magique du rite puissant, dont il se prétend investi, au moment de son sacre, par l’ordre cosmique afin que, par l’application des lois humaines correspondantes, un ordre réduit soit institué dans le royaume à l’image de l’ordre universel.
La conception bouddhique mahayaniste : Cette conception intègre l’idée brahmanique préexistante qui fait du monarque le serviteur de l’ordre cosmique et le régulateur de l’ordre humain. Mais, le Roi bouddhique deviendra le mandataire des enseignements du Maître. Il prendra les caractères d’un Bouddha en puissance, d’un Bodhisatva et apparaître comme le reflet sur terre du Bouddha unique transcendant et surnaturel.
La conception autochtone : Elle était certainement d’origine plus ancienne, mais elle s’était adaptée, fondue dans un cadre brahmanique. Le Roi apparaissait dans cette conception comme la personnification sur terre du dieu du sol. Le dieu du sol, divinité d’origine autochtone, était à la fois l’expression des énergiques du sol et l’expression personnelle du lien, auquel il était attaché ; il s’identifiait en quelque sorte avec ce lieu. Le syncrétisme de l’époque angkorienne avait conduit à une identification du dieu du sol autochtone et d’une des principales divinités brahmaniques : çiva. Dans cette perspective, le Roi n’était plus un monarque à vocation universelle, mais un monarque dont la souveraineté était limitée au seul territoire du royaume. Il était maître du sol du royaume et personnification de çiva.
Après la lecture de ces trois conception du pouvoir du roi khmer, il est évident que les valeurs inhérentes aux conceptions du pouvoir monarchique khmer de M. GOUR sont : Traditionalisme, Déisme et Innéisme. Il est difficile au roi khmer de se laisser réduire à l’une ou à l’autre de ces valeurs car elles constituent l’ossature même de son existence.
I. Le corps, l’esprit de la monarchie ancienne khmère :
M. J. BOISSELIER (archéologue) a créé un cadre historique khmer qui nous donne un aperçu d’ensemble des périodes historiques cambodgiennes. Il est classé en quatre périodes :
- La période préhistorique et protohistorique ; la période founanaise ou première période historique qui débute avec l’apparition des premiers témoignages sur l’indianisation du pays (Ie siècle). Elle s’achève avec le règne de Kaudinya-Jayavarman (478-514), avant dernier roi Fou-Nan (le Fou-Nan : le royaume, de vocation agricole et maritime, semble avoir exercé son hégémonie sur une grande partie de la Péninsule de l’Asie Sud-Est).
- La période pré-angkorienne qui début par le règne de Kaudinya-Jayavarman et s’achève avec le règne de Jayavarman II (802--850), promoteur de la royauté angkorienne (selon les annalistes chinois, un royaume vassale, le Tchen-La, d’origine septentrionale et de vocation continentale, se libère (fin VIe à VIIe siècle) de la suzeraineté du Fou-Nan qu’il l’absorbe en même temps et étend son autorité sur les autres feudataires. Le manque de cohésion, les rivalités amènent, dès le début du VIIIe siècle, une sécession en Tchen-La de terre et Tchen-La d’eau dont le caractère anarchique favorisera les desseins de Jayavarman II).
- La période angkorienne. Elle commence avec le règne de Jayavarman II. L’œuvre de réunification et de centralisation ne sera réalisée que par son second successeur Indravarman 1er et parachève par le fils de ce dernier, Yasovarman 1er ; fondateur d’Angkor (Yasodharapura), dernières années du IXe siècle. L’abandon d’Angkor en tant que capitale (1431 AD), sous la pression siamois, marque la fin de cette période de grandeur ininterrompue (au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle).
- La période post-angkorienne. Elle prolonge jusqu’à nos jours. Cette période est caractérisée par l’adoption définitive du Bouddhisme Theravada (Sources : Asie du Sud-Est Tome I : le Cambodge par J. BOISSELIER sous la direction de G.COEDES – Edition A.J. PICARD et Cie).
A. Le corps ou la structure de la monarchie khmère.
Nous trouvons dans l’ancien Cambodge deux dynasties, lunaire et solaire. Aux évènements rapportés par les auteurs chinois correspond une tradition, selon laquelle la dynastie lunaire était issue de l’union d’un Brahmane Kaundinya et d’un Neak (Nâgî), appelée Somâ, fille du Neak Reach (Roi du dragon). La seconde dynastie (solaire) descend du couple Kambu-Mérâ. Vers 550, les rois de Tchen-La, appartenant à la dynastie solaire (Kambu-Mérâ), se libéraient de la domination du Fou- Nan et l’annexèrent au VIIe siècle. Pour créer un lien entre les deux dynasties, les rois de Tchen-La revinrent à la légende dynastique lunaire (Kaundinya-Somâ). Un texte épigraphique du Xe siècle évoque l’union de la race solaire de Kambu avec la race lunaire, dont l’une avait pour totem le serpent et l’autre, l’oiseau mystique, Krouth (Garuda).
Ces légendes indiennes mêlées d’éléments autochtones n’appartenaient pas au seul du Royaume de Fou-Nan. On les racontait à peu près la même chose dans l’ancien royaume du Champa, ceux de Java et de Logor. Dans tous les royaumes fleurissaient des civilisations apparentées, mais nettement différenciées.
La monarchie khmère est un système politique ou une organisation de pouvoir. Elle est tantôt exaltée, portée aux nues, sanctifiée. Elle est tantôt regardée comme mauvaise par nature. Sa déification ou son exécration s’exprime à travers une multitude d’actions des rois. En tant que système politique, elle possède une structure.
À partir du XIVe siècle en Occident, juriste et théoriciens de la politique conçoivent le royaume par analogie avec le corps humain comme un corps politique, comme un corps mystique. Le Roi et ses grands officiers recouvrent eux-mêmes à cette métaphore organique. Le concept correspond à ce que tous pensent être « structure du royaume ». La substance de celui-ci est faite de l’ensemble diversifié des sujets et leurs activités différenciées ; mais elle est ordonnée par une forme, l’autorité royale, qui dirige et coordonne la vie du corps politique. Le Roi est ainsi le cœur, la tête ou l’esprit, en vue d’une finalité, celle de l’ordre du royaume. La théorie khmère des sept éléments constitutifs de l’État ou de la structure du Royaume.
Au Cambodge, les auteurs des inscriptions sanscrites se réfèrent souvent à une célèbre théorie hindoue (elle était connue au Cambodge dès l’époque préangkorienne (IIIe au VIIe siècle), d’après laquelle l’État ou la structure du Royaume est constitué de 7 éléments : le Chef de l’État ou Roi (Svâmin), les officiers (Amâtya), la population et le territoire (Janapada), la ville fortifiée (Durga), le trésor (Koça), l’armée (Danda), l’allié (Mitra). (Source : Sachchidanand SAHAI : les institutions politiques et l’organisation administrative du Cambodge ancien Vie-XIIIe siècles).
Malgré leurs divergences d’opinion sur l’importance relative de chacun des 7 éléments, les traités indiens accordent la première place au roi comme en Occident. De même, les auteurs khmers considèrent le roi comme l’élément principal.
Les titres royaux :
Le nom de sacre, terminé en Varman, est précédé par les titres propres à la dignité royale. Dès l’époque préangkorienne, l’usage protocolaire est d’ajouter le terme Dava au nom du roi. À l’époque angkorienne, il est appelé Kambujabhûmideva. Cependant, ce terme « Deva » n’est pas réservé exclusivement au roi ; les Moha Montrey (grands dignitaires ou fonctionnaires) et les Brâhmanes y ont également droit. Quant aux titres en langue khmère, nous constatons une évolution sensible de l’époque préangkorienne à celle d’Angkor.
Dans la première période, le titre de Vrah Kamratân Aň est indifféremment décerné au roi, aux Brâhmanes, et aux divinités. Le roi ne semble pas avoir, à cette époque, un titre qui puisse le distinguer des Moha Montrey et des divinités (une inscription préangkorienne emploi le titre Vrah Kamratân Aň (Kamradeng ou Kamratân = le puissant) pour Bhavavarman 1er (fin du VI e siècle), Mahendravarman (600-615) et Içâvarman (616-635).
À l’époque moderne, le terme Kamratân est utilisé dans deux expressions : Kamratân Krala (le seigneur de la maison) et Kamratân Krom (le seigneur de la surface inférieur (le roi). Le titre de Preah Bayda (Vrah pâda) est apparu seulement à l’époque angkorienne. Yaçovarman 1er (889-900), au début de son règne de son règne prtait encore le titre Dhûli Jen Kamratân Aň. Semble-t-il, que l’expression Dhûli Vrah Pâda s’ajoute un peu plus tard au nom du roi. Grâce à l’expression Preah Bayda, le titre royal se distingue de celui des Moha Montrey, des Brâhmanes et des divinités. Très rarement, le roi est qualifié de Preah Karunâ ou de Paramavitra. Ce titre est employé seulement à notre époque moderne. La titulature de Sûryavarman 1er (vers 1001-1049) est marquée par l’emploi fréquent du titre Kamratân dénotant une descendance en ligne maternelle.
Les titres de la famille Royale :
- Obhayoreach, le roi qui abdique ;
- Oparach, qui est soit le frère cadet du roi, soit un prince ;
- Preah Voreachini ou Preah Tévi, la reine ou reine-mère ;
- Preah Kêvea, qui peut être soit le fils cadet, soit le fils aîné ou encore le genre du roi ;
- Preah Ang Mias, Neak Ang Mias (Princes et princesses de la maison royale).
Je renvoie donc les lecteurs au livre de M. KHIN Sok (Le Cambodge entre le Siam et le Vietnam, publié par l’Ecole Française d’Extrême-Orient dans la collection de textes et documents sur l’Indochine XVIII e siècle).
Les Montrey :
La monarchie ancienne khmère avait besoin comme toutes les monarchies anciennes dans le monde d’une organisation ou corps politique permanent muni d’un système hiérarchisé, lui permettant d’appliquer les ordres du roi. Ce corps politique permanent des fidèles, n’est que les Montrey.
Je ne traduits pas ici le mot « Montrey » d’origine sanskrit par le mot « Mandarin », parce que je ne veux pas céder à la facilité des orientalistes qui confondent le Mandarin chinois avec le Montrey khmer. Le mot « Mandarin » ne se présente pas avec toute la rigueur du sens du mot « Montrey » cambodgien. D’abords le mot « Montrey » a déjà plusieurs sens en cambodgien : un intellectuel ou celui qui possède le savoir ou celui qui dirige une affaire d’Etat ou celui qui possède l’honneur ou celui s’est distingué tout simplement du Reas (homme du peuple) par son titre de dignité. Un Montrey est un état d’esprit ou formation de mentalité. Il appartient à un groupe intrinsèquement différent du Reas.
Les Montrey se forment en une catégorie sociale fermée fondée sur propre préférence, sa norme et ses corollaires. Elle est un but en soi, car on devient Montrey pour acquérir deux choses : le pouvoir et la richesse. Il y deux points qui nous permettent de déceler la distinction pertinente entre le mandarin chinois ou vietnamien et le Montrey khmer, les conditions d’affiliation et les relations entre les Montrey et leur souverain :
Les conditions d’affiliation :
Dans la Chine ou le Vietnam ancien, la voie d’accès au titre de mandarin était démocratique et fondée sur la morale confucéenne. Tous les lettrés (les instruits) désiraient accès au titre de mandarin pouvaient participer au concours, lequel était organisé au niveau national par la maison impériale. Quant au titre de Montrey, la voie d’accès était assurée par les liens de parenté. Pour devenir Montrey, il y avait une seule possibilité : Etre le fils d’un Montrey. Un père Montrey avait exercé tous ses influences ou par le subterfuge afin que son fils puisse devenir à son tour un Montrey.
Dans le Cambodge ancien, on était Montrey de père en fils. Les hommes du peuple voyaient en Montrey comme un « Neak Mean Bonn » (celui qui a reçu un mandat céleste). Ce concept est fondé sur le principe fataliste du Bouddhisme : l’Homme est le produit de ses activités passées : « C’est écrit sur mon crâne », disent souvent les Cambodgiens. Ce concept est un bel instrument d’harmonie sociale et de stabilité au profit des Montrey.
M. SAY Bory, dans sa thèse pour le doctorat de spécialité en science en administrative, soutenance en 1974 (Administration rurale du Cambodge et ses projets de réforme), a voulu donner son point de vue sur la conception de « Neak Mean Bonn », dont voici un extrait :
« Celui qui a le Bonn (mandat céleste) est appelé dans la coutume khmère « Neak Mean Bonn ». Cette conception, nous appelons « conception évènementielle » puisqu’elle détermine l’origine du pouvoir par un événement insolite quasi- inexplicable, par la raison pure. Nous préférons l’expression « conception Neak Mean Bonn » à la « conception évènementielle », car pour nous, Khmers, cela se comprend tout de suite, sans avoir besoin d’autres explications ».
La conception « Neak Mean Bonn » permettrait de légitimer tout pouvoir en place, qu’il soit d’origine divine ou populaire. C’est peut-être le corollaire de la théorie de résignation que les dirigeants khmers de l’époque ancienne voulaient inculquer à la masse dans le but de ne pas briser l’unité du peuple par trop divergences dans les conceptions de pouvoir. Celles-ci étaient réservées uniquement au groupe dirigeants, c’est-à-dire les Montrey.
Les relations de pouvoir entre les Montrey et leur souverain : Le Roi étant maître et l’unique propriétaire du royaume, il nommait et révoquait à son gré les Montrey. La pratique d’une autorité absolue du roi devait à chaque fois référer à la loi coutumière du pays.
Les Moha Montrey (Grand Montrey) avaient une attribution spéciale, l’obstacle légale, mais impuissants, aux volontés de Sa Majesté, qui consiste dans le droit de rappeler au souverain sur certains oukases royaux, qui sont contraires à la loi coutumière. Si le roi ne tenait pas compte de leurs observations, ils le laisser faire, parce que la règle traditionnelle dit que la parole du roi est comme la foudre, comme le diamant (terrible, respectable, précieuse). Celui qui transgresse la décision royale sera condamné à une amende proportionnelle à sa dignité, conformément à la loi.
M. Khin Sok, historien khmer, commente dans son livre sur ce point que l’histoire khmère a démontré que cette loi n’a pas empêché certains principes, ou Moha Montrey de s’élever contre les décisions royales insensées ou absurdes, ou contre un roi ayant une mauvaise conduite, dont voici un parmi de nombreux exemples à citer :
" En 1586, le Roi Satha (1579-1595) fit couronner ses deux fils, Chey Chétha et Poňéa Tân, âgés alors respectivement de 11 et 6 ans. En même temps, il éleva son frère cadet, Srei Soriyopor à la dignité d’Oparach. Cette décision fut mal accueillie par certains Montrey, qui la considéraient contraire à la coutume : « la coutume ne peut pas, sans raison valable, être confiée à des princes en bas âge ; de plus, Srei Soriyopor était considéré comme étant le plus apte pour succéder au roi sur le trône. Il en résulte que, lors de l’invasion siamoise en 1594, les Moha Montrey ne se firent plus un devoir de défendre le pays. Ainsi le général chargé de défendre la province de Siemreap, lorsque l’armée siamoise arriva à Battambang, décida de se retirer avec ses troupes à Pursat, parce qu’il ne voulait pas risquer sa vie pour un roi qui n’avait plus conscience morale". Ce fut une des principales causes de la prise de Longvêk (ancienne capitale khmère de cette époque).
C’est ainsi que le pouvoir des rois khmers peut revêtir à la fois un aspect redoutable et fragile, dominant un jour un royaume pour finir balayé par un souffle ou un mécontentement des Montrey. Quant aux relations de pouvoir entre empereur chinois et ses mandarins, elles étaient fondées sur la morale confucéenne : le respect scrupuleux de l’ordre et de l’empereur. Il est impossible à la cour impériale chinoise de laisser ses mandarins de faire observer à l’empereur sur les décisions impériales.
Il en résulte que les Montrey khmer formaient une strate de pouvoir qui partageaient toutes sortes de privilèges avec leur monarque et certains Moha Montrey portaient les mêmes titres que leur souverain, tels que Samdech et Poňéa.
Les titres des Moha Montrey et des Montrey :
Selon Khin Sok, les Samdech et Okňa sont des Moha Montrey et les autres Chao Poňéa Preah, Luong, Khun, Moeun, Neay sont considérés comme Montrey (Fonctionnaires moyens et subalternes).
B. L’esprit de la monarchie khmère :
Il est considéré par les spécialistes comme une pensée influencée par celle de l’Hindouisme et du Bouddhisme. Cette argumentation est fondée sur un concept très simple : l’indianisation de la culture khmère. À partir de cette idée savante, on sait que tout devient simple pour les chercheurs car pour en savoir davantage sur la pensée monarchique khmère, il suffit pour eux d’étudier d’abords les lois de Manu ou la philosophie bouddhique et ensuite de les transposer dans la pensée traditionnelle des rois du Cambodge.
C’est cet effort qui conduit Madame Yvonne BONGER, Sachchidanand SAHAI et autres illustres chercheurs. Ce sont eux aussi qui ont organisé le collage d’une masse fragmentée de l’histoire du Cambodge, parmi la connaissance de cette antiquité perdue dans les annales de l’histoire de l’humanité et enfin guidé l’art de la représenter comme une histoire convenue. Ainsi l’histoire de la monarchie est construite. Son cadre est tracé.
Il y a donc des sujets de thèses qui ont été guidés dans cette pensée unique, laquelle est vue comme un seul miroir où se mire la connaissance savante de nos jours. Faut-il dire que l’histoire des rois khmers n’est qu’un mélange de la science savante, c’est-à-dire le savoir rationnel et tout un héritage culturel dont la découverte de la civilisation angkorienne a multiplié les possibilités de tous les exégètes des ouvrages sculptés sur les monuments historiques ?
Pour ma part, je ne reconnais pas de pensée unique en histoire. Cette interrogation m’oblige, encore une fois, à commenter la pensée monarchique des rois de mon pays, comme dit Michel FOUCAULT (les mots et les choses) : « La tâche du commentaire, par définition, ne peut jamais être achevée. Il est donc normal que mon interprétation ici n’est jamais achevée et toujours ouverte aux nouvelles éventualités.
La cohabitation entre l’Hindouisme et le Bouddhisme :
Comme dans le cadre de mon essai est basé sur l’adaptation de la culture indienne (Hindouisme et Bouddhisme) à la vie des Khmers, il est intéressant de connaître comment l’Hindouisme et le Bouddhisme se cohabitaient dans le Cambodge d’antan. Voici, en bref, cette association : Le Bouddhisme, né dans un milieu hindou et issu en quelque sorte de l’Hindouisme, devait toujours, même en se détachant de celui-ci, garder quelques aspects communs basés l’un et l’autre sur le dogme de la transmigration. Le Bouddhisme admet le Karma et Samsâra, le fruit de l’acte et la métempsychose. Mais, il rejette l’autorité védique et nie l’absolu du Brâhmane. Cette contestation est profonde car elle est non seulement dans la question des rites, mais encore dans les théories indiquant le chemin de la délivrance.
Il y a sans doute une identité de rapport car les Brâhmanes considèrent le Bouddhisme tantôt comme une pensée sulfureuse tantôt comme une branche de l’Hindouisme. Max Müller s’efforce de découvrir (les germes du Bouddhisme) juste dans les Upanishads, qui sont des fondements essentiels de l’orthodoxie hindoue. Mûller rajoute qu’il n’y a aucune contradiction entre l’Hindouisme et Bouddhisme. Les différences entre les deux doctrines, pour être légitimes, ne peuvent être qu’une simple affaire d’adaptation, ne portant toujours que sur des formes d’expression plus au moins extérieures et n’affecte aucunement les principes mêmes ; l’introduction de la forme sentimentale dans le Bouddhisme est dans ce cas, du moins tant qu’elle laisse subsister la métaphysique intacte au centre de la doctrine. On rencontre à Java un Shiva-Bouddha qui témoigne d’une semblable association poussée entre les deux doctrines.
Il faut noter que l’Hindouisme comme le Bouddhisme, en sortant de l’Inde, se sont modifiés dans une certaine mesure et de façon diverses, et, d’ailleurs, ils devaient forcément se modifier ainsi pour s’adapter à des milieux très différents ; mais toute la question est de savoir jusqu’où vont ces modifications. Au Cambodge, le Bouddhisme, dans certains cas, a véritablement servi de « couverture extérieure » de l’Hindouisme, ce qui a permis au second de rester toujours fermé. Par exemple, pendant les règnes des rois bouddhistes d’Angkor, ils pratiquent le Mahâyâna et à partir du XIIIe siècle, sous l’influence du Siam, le Mahâyâna allait être progressivement évincé du Cambodge par le Hînayâna. On constate que la Cour Royale continuait de pratiquer scrupuleusement les rites de l’Hindouisme.
Cet usage permet aux souverains et aux Brâhmanes de se rappeler que d’une part, ils appartiennent toujours à des castes supérieures au Reas khmer (petit peuple) et d’autre part, la personne du roi est toujours le Devarâja (Roi-Dieu) (en khmer, Kamraten Jagata Râja) sur terre, descendant direct de Jayavarman II (fondateur du culte du Roi-Dieu au Phnom Kulên). « Son Auguste corps est la lumière céleste qui irradie de tous les côtés pour éclairer l’ignorance du peuple indigent. Il est la fin suprême pour le peuple bouddhique khmer, car sa personnification est Lokeçvara irradiant (Seigneur du Monde) qui n’est que Mahaçvara (çiva) (sic) ».
Selon les textes chinois, l’Hindouisme et le Bouddhisme coexistaient déjà au Fou-Nan dès les premiers siècles de notre ère. Ils vivaient en bonne intelligence. Pourtant vers 671-695, le pèlerin chinois Yi-Tsing écrivait qu’il y avait une persécution du pouvoir sur les moines bouddhistes :
« Les gens y adoraient beaucoup de Devas. Puis, la loi de Bouddha prospéra et se répandit. Mais, aujourd’hui, un roi méchant l’a complètement détruite, il n’y a plus du tout de bonzes ».
Mais, en général, le Bouddhisme, au cours de son développement était toujours toléré par les rois khmers. En 953, un ministre de Rajendravarman faisait une fondation bouddhique à Angkor ; un peu plus tard, Jayavarman V (968-1001) protégeait ouvertement le Grand Véhicule.
En 1181, le roi Jayavarman VII, un Bouddhiste ardent, prenait possession de la royauté. Cette ascension marqua aussi l’expansion du Bouddhisme au Cambodge, mais elle n’excluait pas totalement le çivaïsme. Çiva et Lokeçvara étaient fréquemment confondus.
Mais l’acte capital de Jayavarman VII, c’est semble-t-il, d’avoir transformé le culte du Davarâja au début du XIIe siècle, en culte du Bouddha-Roi résident au Bayon, il fit sculpter la face de Lokeçvara Samantamukha (face partout) sur les gigantesques tours ç quatre visages du Bayon), centre effectif de sa capitale et centre symbolique du Royaume. On constate que le Bouddhisme ancien avait incorporé à sa mythologie les grands dieux de l’Hindouisme, mais en réduisant aux rôles secondaires de comparses ou d’acolytes ; par exemple, le Bayon est un temple-montagne ; chacun des tours est sculptée à la quadruple image du Bodhisattva Lokeçvara qui domine et protège des divinités brahmaniques telles que Visnou, çiva, Pâvatî ou Kâlî (épouse de çiva). Revenons à la théorie des sept éléments constitutifs de l’État : le Chef de l’État ou Roi (Svâmin), les officiers (Amâtya), la population et le territoire (Janapada), la ville fortifiée (Durga), le trésor (Koça), l’armée (Danda), l’allié (Mitra), car cette théorie nous permet sans doute de mieux comprendre l’esprit de la monarchie khmère.
Le Roi :
La domination et la possession étaient le fondement de l’esprit de la monarchie khmère. Le Roi apparaissait comme la personnification sur terre du Dieu du sol. Il possédait le pays et était Maître divin du peuple. Pour la monarchie khmère, il n’existait pas la frontière entre la terre et le ciel. C’est le sol qui détermine sa puissance royale et le ciel qui reçoit son mandat céleste pour assurer la concorde de l’ordre humain avec l’ordre cosmique. Il était l’être sublunaire et le Magistère du Royaume. Il possède deux instincts : sa conservation et sa croissance :
- Sa Conservation consiste à préserver ses traditions, à perpétuer la superstition. L’ordre est sa vie, la tradition est son dogme, la Nation est son héritage, les Montrey sont ses gardiens de l’ordre auprès de la population. Sa devise est : « Unité et Hérédité ».
- Sa Croissance consiste à augmenter son prestige et son pouvoir qui lui permet d’imposer sa domination. Ce fut la monarchie qui bâtit le temple d’Angkor pour le prestige royal, grâce au travail forcé. Le pouvoir est ses poumons, l’organe vital de la respiration de son corps royal. Pour vaincre ses ennemis des humains : la volupté (Kâma), la colère (Krodha), la cupidité (Lobha), l’orgueil (Mada), l’illusion (Moha) et la jalousie (Mâtsarya), il devait apprendre quatorze espèces de sciences : les quatre Véda (la tradition hindoue : Rig Véda, Yajur-Vêda, Sâma-Vêda et Atharva-Vêda), les six Vêdâgna (le membre du Véda ou sciences auxiliaires du Vêda), les Purâna, la Mimânsâ (la réflexion profonde, le Nyâna (la logique), le Dhatma (la doctrine).
Qu’un empire soit vaste et ses régions variées, le Roi ne pourra guère en l’absence de la télévision, se faire connaître sa personne de la masse de ses sujets. L’entreprendrait-il, qu’il reviendrait de ses voyages pour constater l’appropriation sans doute irrévocable du pouvoir par un ministre, un secrétaire ou un frère bien-aimé. L’ubiquité n’étant pas au nombre des facultés humaines, il n’y a qu’un moyen de tenir ferme le pouvoir sur l’immensité de l’Empire, c’est de se faire Dieu, c’est-à-dire présent en esprit dans tout lieu où un autel s’élève à la gloire du souverain.
Il y a trois éléments qui constituent la base de personnification du Roi-Dieu khmer : l’autorité paternelle du chef ou arbitre des conflits, l’autorité théologale, l’immortel et divin par la race, incarnation de dieu et finalement, dieu sur terre, l’autorité militaire ou pouvoir de ma guerre, on le consolide par la guerre, il est général en chef, l’expérimenté, l’habile, l’audacieux, et surtout le victorieux.Bien entendu, la monarchie revêt sa forme la plus pure quand un roi à accumuler et garder des pouvoirs aussi divers.
Le Roi Hun Tean possédait ces quatre éléments cités:« Selon la légende, le Brâhmane Hun Tean, venant de l’Inde par la mer, après sa victoire militaire sur la reine du Fou-Nan, Liv Yi (selon le professeur Keng Vansak, ce nom Liv Yi est l’altération du mot khmer, « Yay Neuv Leave » (Dame célibataire) qui se donnait autrefois à la première dame du royaume ou une femme âgée qui avait une charge d’un chef suprême de la société), grâce à son arc magique, avait civilisé sur le champ la société primitive khmère en couvrant le corps nu de la reine vaincue par une pièce d’étoffe. Il épousa Liv Yi et monta ensuite sur le trône avec l’approbation des Khmers".
Le Brâhmane Hun Tean se présentait donc aux autochtones comme prête et Chef de guerre. Prête parce qu’il avait apporté une nouvelle religion qui n’était que l’Hindouisme, et chef de guerre, parce qu’il avait imposé sa domination par la force. C’est cette combinaison de ces deux qualités que Hun Tean avait pu fonder, sans aucun doute, la plus solide monarchie au Cambodge.
Les conceptions du pouvoir du roi khmer :
Le professeur Claude GOUR, ancien professeur à la faculté de Droit et des Sciences Economiques de Phnom-Penh, écrit dans son livre (Institution s constitutionnelles et politiques du Cambodge) sur les diverses conception du pouvoir du roi khmer. Résumons les :
La conception brahmanique : Cette conception fait du roi khmer un intermédiaire qui assure la concordance de l’ordre humain avec celui du monde, l’ordre cosmique. Le Roi détient pour cela les secrets de la pratique du rite et du sacrifice qui constituent le moteur de l’évolution ordonnée de l’ordre universel, le moteur du rythme de l’Univers. Le monarque régnant est celui qui, dans son Royaume, est le titulaire de la puissance supra humaine, fondée sur la vertu magique du rite puissant, dont il se prétend investi, au moment de son sacre, par l’ordre cosmique afin que, par l’application des lois humaines correspondantes, un ordre réduit soit institué dans le royaume à l’image de l’ordre universel.
La conception bouddhique mahayaniste : Cette conception intègre l’idée brahmanique préexistante qui fait du monarque le serviteur de l’ordre cosmique et le régulateur de l’ordre humain. Mais, le Roi bouddhique deviendra le mandataire des enseignements du Maître. Il prendra les caractères d’un Bouddha en puissance, d’un Bodhisatva et apparaître comme le reflet sur terre du Bouddha unique transcendant et surnaturel.
La conception autochtone : Elle était certainement d’origine plus ancienne, mais elle s’était adaptée, fondue dans un cadre brahmanique. Le Roi apparaissait dans cette conception comme la personnification sur terre du dieu du sol. Le dieu du sol, divinité d’origine autochtone, était à la fois l’expression des énergiques du sol et l’expression personnelle du lien, auquel il était attaché ; il s’identifiait en quelque sorte avec ce lieu. Le syncrétisme de l’époque angkorienne avait conduit à une identification du dieu du sol autochtone et d’une des principales divinités brahmaniques : çiva. Dans cette perspective, le Roi n’était plus un monarque à vocation universelle, mais un monarque dont la souveraineté était limitée au seul territoire du royaume. Il était maître du sol du royaume et personnification de çiva.
Après la lecture de ces trois conception du pouvoir du roi khmer, il est évident que les valeurs inhérentes aux conceptions du pouvoir monarchique khmer de M. GOUR sont : Traditionalisme, Déisme et Innéisme. Il est difficile au roi khmer de se laisser réduire à l’une ou à l’autre de ces valeurs car elles constituent l’ossature même de son existence.