La paix est-elle impossible avec la Thaïlande et le Vietnam ?
Dans l’histoire du Cambodge, force est de constater que les guerres s’étaient produits pour des raisons diverses entre le Cambodge et ses deux pays voisins, la Thaïlande et le Vietnam. Une grande partie du territoire khmer est annexé par ces deux pays et aujourd’hui encore, les problèmes de frontière sont des sources de tension permanente avec eux. Le problème du temple de Preah Vihear avec la Thaïlande qui déclenche des escarmouches entre l’armée khmère et celle de la Thaïlande, laisse entendre que la paix soit impossible entre le Cambodge et son voisin de l’Ouest. Le tracé des frontières entre le Cambodge et le Vietnam s’alimente des débats entre le gouvernement khmer actuel et ses opposants politiques qui accusent directement le Vietnam de spolier les territoires khmers de plusieurs centaines kilomètres carrés. Face à ces menaces, les nationalistes khmers ne ménagent pas des critiques à l’encontre du gouvernement khmer de mal défendre des intérêts du pays vis-à-vis de ses deux voisins cités. Les problèmes extérieurs du Cambodge deviennent un sujet majeur de débats entre les Khmers avisés à la défense de leur pays. Un principe est évoqué par certains compatriotes que la paix soit impossible avec la Thaïlande et le Vietnam. Que faire ? La guerre. Certains cocardiers n’hésitent pas d’évoquer cette solution. Le dénouement par voie diplomatique est une option pour les Khmers modérés et l’action par voie de justice internationale est réservée par les juristes khmers. Chacun a ses raisons et a ses suppléments de pensée. Mais le point d’interrogation qui reste en suspens est de savoir, avec quels moyens dont chacun possède pour résoudre des problèmes avec les pays voisins puissants ? La guerre, il fallait avoir des moyens matériels et humains. La diplomatie, il fallait avoir des pays amis ayant des influences internationales avérées. La justice, il fallait avoir des arguments et des preuves solides. En plus, il fallait que la communauté internationale s’intéresse aux problèmes du Cambodge qui s’étiolent au fil des années après l’accord de paix en 1991 entre les belligérantes khmers. Sur la scène internationale, on parle peu du Cambodge, parce qu’il est classé, en effet, aujourd’hui dans la catégorie des pays « RAS » (Rien à signaler). Il faut savoir aussi pour nous, Khmers, à chaque fois que nous avions des problèmes extérieurs, ceux-ci deviennent immédiatement un facteur de division interne du pays. Les exemples n’y manquent pas dans l’histoire du Cambodge. Ce constat qui nous oblige à nous poser des questions autrement : La stabilité interne du Cambodge dépend-elle de la paix avec la Thaïlande et le Vietnam ? Mais, est-ce que ces deux pays souhaitent-ils d’avoir des relations sincères avec le Cambodge pour accomplir la paix entre les pays voisins ?
Le problème du temple de Preah Vihear donne raison à ceux qui n’aiment pas la Thaïlande de souffler leur haine ancestrale. Ils n’ont pas tort d’être suspicieux de l’attitude impérialiste du gouvernement thaïlandais. Ils avertissent leurs compatriotes de ce danger récurrent et incriminent le gouvernement khmer de ne pas assez faire pour déloger des soldats siamois de la terre du Kampuchéa ou saisir le tribunal international, afin qu’il impose par ses moyens appropriés le gouvernement thaïlandais à respecter l’intégrité du territoire du Cambodge au environnant du temple de Preah Vihear, défini par le tribunal de La Haye en 1962. La paix avec la Thaïlande, pour eux, ne dépend pas du Cambodge, mais plutôt de la volonté du gouvernement thaïlandais de dénouer ce conflit territorial par la voie de sagesse. Si la Thaïlande ne donnait pas raison à la juste revendication khmère, comment le Cambodge puisse-t-il considérer son voisin comme un ami meilleur ?
Avec le Vietnam, le climat des relations de bon voisinage est toujours en point d’interrogation. Le Protectorat français (1863-1953) ne faisait pas mieux dans ses travaux de bornage des frontières internationales entre le Cambodge et le Vietnam. L’intégration du Kampuchéa Krom (Cochinchine), territoire khmer, dans le Vietnam, faite par la France, est toujours perçue par la majorité des Khmers comme une iniquité. Aujourd’hui encore, les tracés des frontières entre ces deux pays faits récemment par une commission mixte khméro-vietnamienne ne donnent aucune garantie de bonne démarcation aux nationalistes khmers, compte tenu de la position dominante de la partie vietnamienne sur celle des Khmers. La ligne de tracé est toujours contestée par les partis d’opposition. On accuse le Vietnam avec les preuves à l’appui qu’il ne respecte pas les lignes de frontières reconnues par les institutions internationales avant 1970 et les accords de paix de 1991. Pour les nationalistes khmers, les nouvelles frontières actuelles entre le Cambodge et le Vietnam sont un point de litige latent qui s’alimente des suspicions légitimes sur la politique d’expansionnisme du gouvernement vietnamien. De cela, comment le peuple khmer puisse-t-il avoir la confiance sur la concorde entre ces deux peuples, Khmer et Vietnamien ?
A partir de ces deux points de vue, soulevés par les nationalistes khmers, une question nous interpelle : Sommes-nous dans l’impasse d’avoir des relations de lumière avec nos voisins, la Thaïlande et le Vietnam ?
Après d’une longue période de colonisation et d’une parenthèse, brutale et brève de l’utopie diabolique de Pol Pot et à l’heure où les frontières entre les nations laissent place à la mondialisation, les problèmes de frontières entre le Cambodge et la Thaïlande, d’une part, entre le Cambodge et le Vietnam, d’autre part, restent en entier dans l’esprit des nationalistes khmers. Ces deux pays sont-ils les boucs émissaires ou les sources de menace, fantasme ou partenaires du Cambodge d’aujourd’hui ? Interrogation évidemment sans réponse, hormis une conviction : Le Cambodge est victime depuis la nuit des temps de la politique d’expansionnisme de ces deux pays. Cette conviction est toute vraie et toute erronée. Elle soit erronée, parce qu’elle repose sur notre refuse d’admettre le principe fondateur du monde du passé qui, à sa manière, impose à toutes les nations une loi : le plus fort gagne. Par cette loi, aucun empire ou nation puissante ne sort indemne de son imperium. Elle soit vraie, parce que les remugles de l’ambition de ces Etats mitoyens et abusifs, Thaïlande et Vietnam, s’exhalent en l’air libre. L’exemple du côté de l’Est, l’apparition du rêve d’une Indochine fédérée aura réveillé la suspicion dans les milieux des intellectuels khmers. A l’Ouest, le conflit actuel préface le premier signe de xénophobie qu’on croit qu’elle soit disparue avec le temps. Ces deux faits donnent droit aux nationalistes khmers de démontrer qu’il existe une camorra entre la Thaïlande et le Vietnam, susceptible de s’affronter ou de coopérer au détriment des intérêts khmers.
Aujourd’hui, avec la loi internationale, il n’existe plus une position dominante et exclusive d’une nation sur d’autre. Toutes relations entre les nations reposent sur les accords bilatéraux, régionaux et mondiaux, reconnus par les instances internationales. Tous les conflits entre les nations sont réglés, dans la majorité des cas, par les organismes et tribunaux internationaux. Le Sud-Est asiatique d’aujourd’hui, à mon avis, est une région sous menace mais sans risques, parce qu’il existe un mécanisme régulateur. Mais le Cambodge est toujours un pays sous risques de guerre civile, parce que justement le système de consensus national n’est jamais existé.
La question vraie pour le Cambodge d’aujourd’hui n’est pas de savoir, la paix soit oui ou non possible avec ses voisins ? Si nous avions les moyens d’avoir rang de rival avec l’un d’eux ou avec les deux à la fois, cette question nous semblerait la bienvenue. Mais, nous le savons bien qu’il soit impossible pour notre pays de supporter un conflit armé avec ses voisins, à l’Ouest comme à l’Est, parce que notre système national de consensus entre les Khmers pour faire face à ce conflit soit imparfait : des aléas immédiats des conflits internes demeurent une question qui alimente notre angoisse. Après avoir cru que notre pays était un havre de paix bouddhique, jusqu’à l’auto-génocide commise par Pol Pot, la question de la concorde nationale reste un sujet de désordre dans l’esprit de tous les Khmers, parce que cet événement pourrait se reproduire sans crier gare. Qui aurait imaginé que dans un pays, comme le Cambodge, synonyme presque par définition de solidarité, une minorité des Khmers, appelés Khmers rouges, ont tué leurs compatriotes, non pour une menace, mais pour un mot. Mais au lieu, convaincus de la menace vietnamienne, de définir un cadre et une procédure qui auraient permis de traiter les cas des Khmers rouges, nous aurions préféré pendant dix ans (1979-1989) nous voiler la face : niant la réalité de la souffrance du peuple sous le régime sanguinaire de Pol Pot. Nous aurions laissé aux soldats vietnamiens de jouer le rôle de défenseur du peuple khmer contre la menace du retour des Khmers rouges et la Thaïlande d’être le bienfaiteur de la résistance khmère, avec le débris de l’armée des Khmers rouges en tête, contre l’occupation vietnamienne. Cette situation ne pouvait, en effet, déboucher que sur l’immobilité totale dans des relations du Cambodge avec ses pays voisins. Une enjambée d’amitié vers l’Est, soit interprétée par la Thaïlande comme une menace pour son pays. Un sourire vers l’Ouest, soit vu comme une trahison par le Vietnam. En revanche, le Cambodge doive accepter les accords bilatéraux entre ces deux pays, quels qu’ils soient leurs natures. Cette situation ne ressemble pas-t-elle à celle du XIXe siècle, avant l’arrivée des Français, n’est-ce pas ?
Mais penser aujourd’hui que le Vietnam soit dans l’état d’imposer une relation politique de suzerain à vassal et d’exercer un poids spécifique sur le Cambodge est anxiogène et la Thaïlande, pays démocratique avéré, soit dans l’état de nuire le Cambodge est sans doute fantasmé, parce que le Cambodge est un pays ouvert à la mondialisation, à tort ou à raison, mais c’est un état de fait. Il y a beaucoup d’acteurs économiques qui sont présents au Cambodge, parmi les grands de ce monde, la Chine, les Etats-Unis d’Amérique, le Japon, l’Union Européenne, etc. La Thaïlande et le Vietnam doivent tenir compte ce paramètre dans leurs relations avec le Cambodge, parce que leur développement économique, qui est un facteur de stabilité intérieure, dépend aussi de la mondialisation. L’avers et le revers de notre patriotisme présentent des éléments contradictoires : la face principale s’affiche une ambition d’une grande nation millénaire avec une culture supérieure et dynamique, mais du côté pile, elle présente notre mémoire évanescent pour alimenter les irrédentismes, l’impuissance pour les amener à la xénophobie. Cette contradiction mêle donc des relents de désespoir : faire entendre la puissance de courage par des angoissés aux géants impitoyables. Face à ces deux nations, depuis des siècles, une bonne conscience pour nous, c’était limitée seulement à dénoncer leurs ambitions, mais nous n’avions jamais trouvé une solution appropriée, avec une volonté nationale, pour faire reculer ces tentations qui sont souvent concrétisées en victoire. Nous n’avions jamais savoir penser, avec plusieurs coups d’avance, des stratégies de défense nationale. A partir de 1953, notre politique extérieure se limitait à choisir entre le moins mal, parmi les plus forts : la Chine et le Vietnam. Situation ambiguë dont le passé constitue, d’une certaine manière, notre seule référence. Quant à notre politique intérieure, elle s’est construire sur la base de la culture politique du peuple khmer : la culture paroissiale dont les membres du système politique sont peu sensibles aux phénomènes nationaux. Ils sont orientés pour l’essentiel vers un sous-système politique plus limité (village, clan, ethnie) et ignorent l’État-nation et la culture de sujétion dont les membres du système politique sont conscients de son existence, mais restent passifs. Il y a le troisième type de culture politique, exposé par Gabriel Almond, sociologue américain et ses collaborateurs, la culture de participation. Les citoyens sont conscients de leurs moyens d’action sur le système politique, de leur possibilité d’infléchir le cours des évènements politiques en exerçant leur droit de vote, en signant des pétitions ou en organisant une manifestation. Ce troisième type de culture politique est absent de la culture politique du peuple khmer. Ici, je n’ai pas l'intention de rabaisser la culture politique du peuple khmer, parce que dans la démonstration d’Almond, il n’est pas question de classer ces trois types de culture en ordre de supériorité. Chaque culture politique est une suite complexe de réactions et transformations de mentalités et de comportements de la population dans son environnement culturel et politique : tradition, mœurs et système politique.
En 1991, après deux décennies de guerres sans nom, une chance nous sourit : l’intervention de l’O.N.U pour mettre fin aux conflits armés entre les parties khmères et l’occupation vietnamienne. Cette intervention nous a donné trois cartes à jouer : la paix, la démocratie et le développement économique.
La paix est une carte qui nous permettait de jouer les jeux de la concorde nationale dans un Cambodge composé de plusieurs catégories de la population : Celle qui vivait sous l’occupation vietnamienne, celle qui s’enfuyait du pays pour se refugiait dans des camps en Thaïlande, la diaspora khmère et des immigrés vietnamiens qui ont acquis la nationalité khmère par la loi onusienne, d’une part ; des fractions armées, il y en avait quatre, Khmers rouges, nationalistes, royalistes et communistes, d’autre part. Il fallait trouver une recette ou une personnalité ayant pignon sur rue et d’imaginer une architecture d’un nouvel Etat khmer pour animer la réconciliation nationale. Nous le savons que l’ONU ait choisi de faire jouer le peuple khmer à l’ancien comme base de la paix : la restauration de l’ordre ancien. Quelle douce illusion. Il aurait donc fallu travailler, proposer, anticiper comme base de la concorde nationale d’autres choses que celui-là. La parthénogenèse d’une politique de réconciliation nationale est possible sans viol ou conflit, c’est une affaire de professionnalisme et de méticulosité. L’ONU ait pu faire taire des canons, mais elle ait laissé le sort du peuple khmer dans l’impasse. A-t-elle réussi dans sa mission de faire changer le statut du peuple khmer en citoyen, souverain de son pays ? La concorde nationale est née dans un pays où la paix est pour le peuple, pas pour les belligérants. La précipitation de l’ONU dans la recherche de solution de paix au Cambodge avec un calendrier et un budget à respecter, plaçait le Cambodge dans une impasse politique intérieure et extérieure. Les relations du Cambodge avec la Thaïlande aléatoire et le Vietnam imprévisible, qui ne sont plus ennemis, mais l’histoire et la géographie empêcheront de devenir des vrais amis du Cambodge. Quant à la politique intérieure, l’unité nationale khmère, ébranlée par des siècles de décadence, est toujours précaire par l’amnésie qu’après la dictature de Pol Pot (1975-1978), les débats des intellectuels khmers sur la responsabilité des Khmers rouges de la mort de plus de deux millions des Khmers innocents paraissent avoir toujours existée. Malgré des milliards de dollars US de l’ONU pour aider le Cambodge à retrouver son calme, ce pays, rasséréné, y vit toujours dans l’instabilité comme l’eau. La paix offerte par l’ONU n’est pas une fin de l’histoire khmère ; c’est un simple épisode, pendant lequel les Khmers doivent prendre leurs responsabilités pour conserver cette paix à l’intérieur et à l’extérieur. Ni la Chine, ni la Thaïlande, ni le Vietnam, qui pourront menacer cette paix. C’est nous-mêmes qui sommes responsables de sa stabilité, laquelle est dispensable pour que le Cambodge puisse continuer de jouer la deuxième et la troisième carte : la démocratie et le développement économique, parce que les conditions d’un affrontement armée avec nos deux pays voisins ne soient pas réunies, ni même près de l’être.
La paix à l’intérieur ! la paix à l’extérieur ! ce serait une ligne politique intérieure et une diplomatie de « zéro problème » que nous, Khmers, devions l’adopter. La paix avec la Thaïlande et le Vietnam n’est pas synonyme du renoncement de la politique de défense nationale pour protéger les frontières du pays et des droits de la population khmère où qu'elle se trouve. Elle s’intégrerait au contraire dans son renforcement dont le développement économique et social sera une base de la concorde nationale. Il faut faire en sorte que la main qui manie l’épée est celle-là qui dispense la richesse et la justice au peuple khmer. Le Cambodge aurait besoin un temps de silence pour soigner ses blessures, causées par les erreurs récidivées de ses dirigeants depuis 1953. Au stade où nous sommes aujourd’hui, il ne faut pas renier nos propres responsabilités, sinon nous continuons de jouer la quatrième carte qui est pour nous, une carte connue et d’être sûrs de jouer perdants. Il faut éviter d’être dicté par l’impatience et les excès de notre nationalisme extrême qui à ce jour ne faisait pas preuve de ses efficacités escomptées. Notre Majesté, peuple est pauvre pour se permettre de partager le rêve de grande nation khmère de jadis. Son seul désir dans sa misère éternelle est le décollage économique avec un but du développement social, promis par tous les régimes. Un film sur l’Empire khmer, étant en cours de réalisation, dont l’actrice américaine Angelina Jolie, naturalisée khmère, joue un rôle principal dans ce film, ne ramènera pas la joie et la fierté au peuple khmer dont le cœur est blessé par la profonde pauvreté, « spirituelle » et « matérielle » et ne règlera non plus les problèmes du temple du Preah Vihear, comme le film « la déchirure » (The Killing Fields) de Roland Joffé, sorti en 1984, qui ne faisait pas taire les amis des Khmers rouges. Si difficile de réaliser une paix, basée sur une diplomatie de zéro problème, il est donc capital de s’y atteler. A cette politique, seule la démocratie authentique est capable de répondre, c’est-à-dire celle qui pousse à l’extrême le jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs et qui pratique, de la sorte, la transparence. La paix avec la Thaïlande et le Vietnam est possible, si nous étions capables de démontrer avec les preuves à l’appui à ces deux pays que dans notre pays, il y ait « zéro problème ». Est-ce que sommes-nous capables de réaliser ce défi avec notre culture politique paroissiale et de sujétion ?
Aide toi le ciel t’aidera.