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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 08:39

 

Thailand 2009 1 316

LES NOUVEAUX VIETNAMIENS DU CAMBODGE (*) 

Par DY KARETH

22 mars 2008

  

Prologue de Sangha OP

 

   Jadis Français de droit colonial, nous (Khmers) sentions déjà notre dignité s’effriter sous les regards de nos anciens maîtres annamites et siamois. Au moins espérions-nous retrouver un peu de notre grandeur du passé dans nos yeux domestiques. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’yeux domestiques avec plus de cinq millions de colons vietnamiens à regarder : il y a leurs regards sauvages et libres qui occupent notre terre.

  Nous voilà finis, notre grandeur angkorienne, le ventre de l’air, laissent voir leurs entrailles, notre défaite programmée. Si nous voulons faire rompre cette finitude qui nous cloître, nous ne pouvons plus compter sur la valeur de notre race millénaire : Alors dirons-nous, en quoi nous comptons faire pour tenter d’être simplement des hommes libres ?

   En un mot, M. Dy Kareth s’adresse ici à nous, il voudrait nous expliquer ce que les Khmers savent déjà : pourquoi c’est nécessairement à travers l’histoire que le peuple khmer, dans sa situation présente, doit d’abord prendre conscience de lui-même. Cette lucidité est la seule voie de sauvegarde de la Nation khmère.

 

    ធម្ម 

 

Largement connu, le Nam Tiên ou l’Expansion (des Viêtnamiens ou Viêts) vers le Sud, selon l’économiste et historien Lê Thành Khôi, est «la trame» de l’histoire du Viêtnam(1). Le royaume du Champa fut progressivement absorbé par le Viêtnam (ou Dai Viêt, ou Annam) du 11e siècle à 1697, puis le sud du Cambodge ou le Bas-Cambodge appelé plus tard la Cochinchine. Pour justifier leur expansionnisme, les Viêts ont évoqué deux grands motifs : la « poussée démographique » et, surtout, la nécessité de préserver « la sécurité » de leur pays contre les menaces de la Chine(2), quitte à en faire payer le prix fort (des exactions barbares, des massacres, des confiscations de biens et de terres) par les peuples et les Etats voisins plus faibles.

 

Les procédés des rois et empereurs viêts n’ont pas varié d’un siècle à l’autre. Parlant du Champa, et cela est valable aussi plus tard pour le Bas-Cambodge, Nguyên Thê Anh a noté que «l’expansion vietnamienne s’était faite sous des formes diverses : conquêtes militaires, arrangements diplomatiques, mais aussi infiltrations pacifiques par une avant-garde de colons qui venaient défricher les sols que les Chams (puis les Khmers) laissaient à l’abandon». Les « infiltrations pacifiques » se faisaient selon la technique dite de « la peau de léopard », une technique de colonisation précédant l’annexion complète d’un territoire étranger déjà dominé par les forces viêts, mais dont la population autochtone était encore largement majoritaire par rapport aux colons viêtnamiens(3). Nombre de ces colons étaient en fait des « soldats-agriculteurs » chargés d’assurer sur place la sécurité et l’administration de leurs compatriotes et, aussi, de pousser les autochtones à abandonner leurs terres et de s’en aller vers les forêts et les montagnes ou vers l’intérieur de leur pays(4).

 

Au 20e siècle, les communistes viêtnamiens, dès leur formation, ont repris la marche expansionniste des empereurs viêts vers l’Ouest et n’ont pas procédé différemment de ces derniers, pour finalement attaquer et coloniser le Laos et le Cambodge, sous le prétexte des luttes contre « les  impérialistes et les réactionnaires » de tous bords.

 

 

DES « IMMIGRANTS » SINGULIERS

 

Les premiers colons viêts au Cambodge devaient être de cinq cents jeunes gens et cinq cents jeunes filles, en plus du cortège de mandarins et de chefs militaires, qui accompagnaient la princesse viêt Ngoc Van, l’une des filles du  seigneur du Sud (Nguyen) Sai Vuong, pour son mariage en 1618 avec le prince héritier et futur roi khmer (cambodgien) Chey Chettha II (1619-1627). La reine Ngoc Van, habile intrigante, a exercé une grande influence sur la Cour khmère et, à ses appels, des interventions militaires viêts se sont succédées au Cambodge pour soutenir les rois et les princes locaux dans leurs luttes intestines, contre des cessions territoriales successives à la Cour des Nguyen(5). En 1841, l’empereur d’Annam (nom du Vietnam d’alors) a fini par annexer tout le Cambodge à son empire : la capitale Phnom-Penh et toutes les provinces du pays ont même reçu des noms viêts. Mais, quatre ans plus tard, une grande révolte populaire khmère s’est levée et ont attaqué, pratiquement en même temps, toutes les garnisons annamites du pays et chassé le pouvoir impérialiste hors du Cambodge. Tous leurs colons survivants ont dû s’enfuir vers leur pays d’origine, sauf dans certaines zones frontalières du sud où ils étaient encore protégés par des forces viêts(6).

 

Toutefois, vingt ans plus tard, ils ont pu revenir progressivement au sud cambodgien, puis dans l’est et à la capitale Phnom-Penh, cette fois-ci encouragés par la France coloniale devenue maîtresse de la Cochinchine (le Bas-Cambodge) et « protectrice » du reste du Cambodge. Jean Delvert a regretté « la naissance (au Cambodge) d’une importante minorité d’Annamites, sujets et protégés français, estimés à 250.000 en 1951, d’origine essentiellement tonkinoise». C’était «le Protectorat (qui) a favorisé l’immigration annamite ; il a employé des cadres moyens et subalternes annamites dans tous les services administratifs (du Cambodge) et ce dès le début… Le plus grave, sans doute, est que les autorités françaises ont étendu leur juridiction sur tous les Annamites immigrés et nés au Cambodge ; ainsi les Annamites échappaient-ils totalement aux autorités cambodgiennes»(7). Ensuite, lors de la guerre au Cambodge (les communistes viêts et les Khmers Rouges contre les Républicains de Lon Nol) de 1970 à 1975, puis sous le régime des Khmers Rouges de 1975 à 1979, la population civile vietnamienne s’est évacuée encore une fois totalement au Vietnam. Ce n’est qu’après l’invasion victorieuse en 1979 et l’occupation du pays par les forces de Hanoi jusqu’en 1989, que des flots incessants et incontrôlés d’« immigrants socio-économiques» viêts, encouragés et protégés par ces dernières, ont massivement envahi de nouveau le Cambodge.

 

Ainsi, le nombre des Viêts au Cambodge, contrairement à celui des autres étrangers, n’a pas connu une évolution régulière, mais des hausses et des chutes extraordinaires. Selon les chercheurs français, « les Vietnamiens sont ressentis par les Khmers comme un danger, à la différence des Chinois dont la plupart, même au temps du Protectorat français, ont toujours su vivre en symbiose avec les Khmers et se sont assimilés à la société khmère »(8). Les Viêts se méfient des Khmers aussi : pendant les dernières guerres fort meurtrières au Vietnam (celle des Français et, surtout, celle des Américains) presque aucun Vietnamien civil n’était venu chercher refuge au Cambodge. Dans le passé comme aujourd’hui, les Viêts n’émigrent vers le Cambodge que s’ils y sont encouragés, voire poussés par leurs autorités et protégés par les pouvoirs vietnamiens et/ou par les autorités locales du Cambodge. Des « immigrants » d’un genre bien singulier.

 

DE NOUVELLES « INFILTRATIONS PACIFIQUES »

 

Combien sont-ils à l’heure actuelle ? De 1979 à aujourd’hui, si le nombre de la population totale du Cambodge est connu, l’on ignore les chiffres de ses composantes ethniques, en particulier celui des nouveaux Viêts. Les régimes pro-Hanoi du PPRC (Parti Populaire Révolutionnaire Cambodgien), appelé ensuite le PPC (Parti Populaire Cambodgien) de Hun Sen, qui contrôlent strictement tous les villages et quartiers du pays jusqu’à présent, doivent connaître ce chiffre, mais refusent de le rendre public, pour des raisons politiques évidentes.

 

En 1967, Rémy Prud’homme a estimé qu’il y avait «environ 250.000 Vietnamiens, soit un peu plus de 4% de la population totale», tout en rappelant que «dans les années cinquante, l’on sait que la population vietnamienne diminue au Cambodge», suite à l’évacuation (des communistes) du Viêtminh(9). Pour sa part, Jacques Migozzi a évalué qu’au début de 1970 leur nombre à environ 450.000, soit 6,6 % de la population totale de 6.800.000(10). Ce chiffre de 450.000 Vietnamiens est calculé à partir de celui donné par le Protectorat français en 1951, avec un accroissement moyen annuel de 3% pour la communauté vietnamienne, sans tenir compte ni de la baisse de 1954-1955, ni du recensement effectué en 1962. Mais, en 1983, Phnom-Penh, donc Hanoi aussi, a prétendu qu’il étaient « de plus d’un demi million » avant 1969.

 

Jacques Népote a donné une «hypothèse prudente et nuancée» qu’en 1980, après la guerre de 1970-1975, les massacres et les purges de Pol Pot, la dénatalité, le départ des 450 000 Viêtnamiens et les réfugiés cambodgiens à l’étranger, la population du Cambodge serait tombée à quelques 5,44 millions. «Cette estimation, a ajouté l’auteur, ne tient pas compte des pertes liées à l’effondrement du régime Khmer Rouge» (d’au moins 450.000 de morts khmers, selon plusieurs estimations occidentales)… «Ainsi, la population du Cambodge pour la fin de l’année 1980 (peut être évaluée) à quelque 5 millions d’habitants : la moitié des prévisions du temps de paix »(11). Par contre, en novembre 1980, les autorités de la République Populaire du Kampuchéa (RPK) nouvellement installées par Hanoi ont annoncé une population totale cambodgienne de 7 millions d’habitants, soit 2 millions de plus que l’estimation de J. Népote. En 1992, les enquêtes de la Banque Mondiale ont chiffré une population totale du Cambodge à 9.001.315. En 1993, l’organisation onusienne APRONUC (UNTAC), qui était chargée d’organiser les élections générales au Cambodge en mai, a enregistré 4.764.430 électeurs et environ 8.820.800 habitants au total. Or, si l’on se base sur l’étude de J. Népote – avec une croissance annuelle moyenne de 2,2 %(12), sans de nouvelles « immigrations » vietnamiennes et diminué des 450.000 morts de 1979 à 1989 – la population du Cambodge ne dépasserait pas 6.050.000 habitants à la fin de 1992, soit environ 2.950.000 de moins que les 9 millions trouvés sur place par les organisations internationales. Pour la période 1993-2003, avec un taux de croissance redevenu normal, c’est-à-dire à 2,6%, la population totale du Cambodge ne devrait pas dépasser8.024.000 âmes en 2003. Mais, en 2003, le Ministère de l’Intérieur cambodgien donne le chiffre de la population totale de 13.124.000 habitants(13). Nous estimons ainsi qu’en 25 ans (de 1979 à 2004) les nouveaux Vietnamiens au Cambodge sont déjà entre 4,0 et 4,5 millions, c’est-à-dire entre 30% et 35% de la population totale, non pas 1% (100 300 personnes) comme l’ont affirmé les responsables du Gouvernement Hun Sen, et de 1 à 2% - de 100 000 à 300 000 personnes en 2006 – selon les médias officiels de Hanoi(14).

 

Enfin, de 2004 à 2008, des politiciens et les médias indépendants cambodgiens n’ont pas cessé de dénoncer de nouvelles immigrations « illégales » de Viêts au Cambodge, sous une forme ou sous une autre. En effet, les créations successives de « zones économiques spéciales » d’administration commune aux provinces frontalières et l’ouverture de nombreuses portes-frontières entre les deux pays – plus de soixante en 2007, alors qu’il n’y en avait qu’une seule avant 1979, sur une frontière commune de 1 270 Km – ont amplement facilité les infiltrations « pacifiques » des Viêts au Cambodge.

 

 

DES IMMIGRANTS PRIVILEGIES

 

Les invraisemblables chiffres officiels ci-dessus du Gouvernement Hun Sen et de Hanoi peuvent avoir une explication : les Viêts arrivés au Cambodge peuvent se faire attribuer très facilement une carte d’identité nationale cambodgienne, donc très peu sont restés « Viêtnamiens ». D’ailleurs, Michael Benge, un chercheur américain du South East Asian Politics et défenseur des droits de l’homme, a rappelé que « lorsque Hanoi a décidé de retirer ses armées (du Cambodge, en 1989) Hun Sen est intervenu pour donner des terres de culture dans l’est cambodgien à 100 000 soldats viêtnamiens démobilisés, tout en leur accordant immédiatement la citoyenneté cambodgienne »(15). Cette largesse n’était pas fortuite : outre le fait que ces démobilisés pouvaient, en changeant l’uniforme et leurs noms, réintégrer l’armée cambodgienne de Hun Sen, ils devenaient de facto, comme d’autres plus récents « immigrants » viêts, de fervents partisans du parti de ce dernier. Effectivement, le nombre des membres du PPC, qui était de 20 000 environ en 1989 était passé très vite à plus de 3 millions en 1993, puis à 4,1 millions en 2006 et à plus de 5 millions sur les 8 millions d’électeurs inscrits en février 2008(16).

 

Socialement, les nouveaux Viêtnamiens, dès 1979, supposés comme étant d’anciens résidents au Cambodge, et contrairement à des Cambodgiens sortis de l’enfer polpotien, ont le privilège de pouvoir reprendre leurs anciennes places et de s’installer où ils veulent dans le pays. La plupart d’entre-eux, en fait, sont jeunes, sans famille, et sont de véritables aventuriers, arrogants et méprisants. Aux Khmers, ils disent qu’ils sont les « libérateurs du Cambodge de Pol Pot », leur faisant comprendre qu’ils ont tous les droits sur ce pays conquis. Naturellement, ils sont autorisés - ou plutôt dirigés - à occuper toutes les régions riches et stratégiques du Cambodge, dans les zones urbaines et dans les campagnes où sont  présentes les forces d’occupation de Hanoi. Les berges du Mékong et le grand lac poissonneux Tonlé Sap étaient leurs premières destinations. Ils ont investi massivement aussi les grandes villes comme Phnom-Penh, Kampong Chhnang, Kompong Cham, Battambang, Kampot, le port maritime de Kompong Som (Sihanouk-ville) et d’autres grands bourgs comme Neak Loeung ou Takhmau sur le fleuve Bassac. Après la reddition totale des Khmers Rouges en 1996, des Viêts sont venus en grand nombre s’installer à la frontière thaïlandaise, à Poipet à O-Smach et à Pailin même (toujours administrée par d’anciens chefs khmers rouges) et dans la province de Koh Kong. La traditionnelle technique de la « peau de léopard » d’implantation d’émigrés viêts est appliquée de façon systématique.

 

Didier Bertrand, tout en dénonçant vivement les ressentiments « incompréhensibles » des Khmers à l’égard des Viêts, a reconnu, « comme beaucoup d’autres, que pendant la longue période (dix ans) d'occupation du pays, (Hanoi) a tenté une véritable vietnamisation de la vie politique, sociale et culturelle du Cambodge ». Mais, il a justifié l’apport économique et les bons droits communautaires (sociaux et culturels) des « immigrants » viêts qui, dès les années 1980, sont devenus pêcheurs, ouvriers de chantier, artisans, femmes de ménage, prostituées dans les zones urbaines... : « la place des activités économiques des Vietnamiens au Cambodge, que ce soit en matière de commerce et production, d’économie interne ou internationale, apparaît donc comme loin d’être négligeable mais elle n’est pas toujours reconnue par les Cambodgiens de manière positive (pas plus que celle des Arabes en France) alors que les Vietnamiens savent bien que s’ils devaient quitter le pays, le Cambodge souffrirait d’une pénurie de main d’oeuvre qualifiée dans plusieurs domaines ». Des Khmers, pourtant, lui ont répondu que « le rôle économique (des Viêts) est négligeable, ils n’ont pas de rôle économique », une façon de dire que les Khmers n’ont pas besoin de ces derniers pour vivre(17). En tout cas, les nouveaux « immigrants » sont autorisés à exercer une autre activité qui déplaît et inquiète profondément les Khmers : l’exploitation de champs agricoles. Esmeralda Luciolli, qui se trouvait au Cambodge occupé entre 1984 et 1986, a écrit avec justesse que « si avant 1970, on comptait de nombreux pêcheurs et commerçants vietnamiens, l’installation de paysans restait rarissime : aujourd’hui, au contraire, elle est fréquente... La plupart de ces immigrants, venus du sud du Vietnam (dès 1979), s’installent dans les provinces proches de la frontière... et dans des régions (où) non seulement la terre est plus fertile, mais ils sont exemptés d’impôts, dispensés du service militaire – que beaucoup redoutent – et ils échappent aux corvées de défrichage et aux travaux stratégiques imposés à la population khmère ». A l’époque, on trouvait déjà de nombreux paysans viêts dans les provinces orientales khmères de Kampong Cham, de Kandal, de Svay Rieng, de Prey Vèng, et de Takèo(18). L’on trouve maintenant également de nombreux  paysans et grands exploitants agricoles vietnamiens dans les provinces khmères de l’ouest, de Kampong Thom, de Pôthisat et de Battambang, les greniers traditionnels du Cambodge.  

  

C’était prévisible : pendant l’occupation viêtnamienne, les autorités de la RPK ont « recommandé » aux Khmers qui disposaient d’une habitation d’en céder une partie au profit des « frères » vietnamiens qui arrivaient(19). De 1979 à aujourd’hui, avec la remise en cause par Hanoi du tracé de la frontière, les constantes pressions viêtnamiennes (l’insécurité, les interventions policières, les destructions des biens et les confiscations autoritaires) sur les provinces frontalières cambodgiennes sont telles que les paysans khmers des lieux soient résignés à abandonner ou à vendre à prix bradé leurs terrains et leurs propriétés aux paysans viêts et à reculer eux-mêmes vers l’intérieur du Cambodge, sinon à solliciter la nationalité vietnamienne pour pouvoir – pour combien de temps ? - conserver leurs biens et rester sur place. Les autorités cambodgiennes ont toujours laissé faire. A présent, sécurisés par la présence de forces armées de leur pays d’après des accords de « sécurité commune » avec Phnom-Penh, les « immigrants » viêts finissent par être majoritaires dans les provinces cambodgiennes comme Svay Rieng et Prey Vèng, vraisemblablement à Phnom-Penh aussi. De même, ils sont arrivés en masse dans les provinces forestières et agricoles peu peuplées du nord-est comme Stung Trèng, Ratanakiri et Mondulkiri qui sont incorporées depuis 2004 dans une immense zone d’un « Triangle de développement indochinois » et où d’énormes concessions de terres khmères sont accordées par Hun Sen, pour 50 à 70 ans, aux sociétés de plantation d’hévéa dirigées, comme au Laos, par d’anciens militaires viêtnamiens(20).

 

DES « VIÊT-KIÊU » TRES PATRIOTIQUES

 

Déjà en 1983, Hun Sen, sans doute inspiré par ses « experts » de Hanoi, a donné une explication à cette situation : « Avant 1969, il y avait au Cambodge plus d’un demi million de Vietnamiens, dont la plupart était étaient emmenés par les colonialistes français pour travailler dans leurs plantations d’hévéa. Ils travaillaient aussi dans les champs, les usines, sur les fleuves et sur le lac Tonlé Sap, comme cultivateurs, pêcheurs, éleveurs, sauniers, artisans, etc. Ils ont contribué activement au développement de l’économie du Kampuchea. Pendant les jours de la domination des féodaux, des colonialistes et des impérialistes, les résidents vietnamiens se sont unis à tous les groupes ethniques du Kampuchea dans leur lutte pour l’indépendance nationale, la liberté et pour la construction et la défense de leur patrie »(21). Ce qui devait et doit toujours justifier des « droits  historiques » imprescriptibles des Viêts et leur domination au Cambodge.

 

Comparativement, sur les plans social et économique comme sur d’autres, le Vietnam est beaucoup plus développé et plus riche que le Cambodge, mais des Viêts continuent à affluer en grand nombre, quotidiennement, au Cambodge, certains qu’ils sont ici plus favorisés et mieux protégés. En effet, les forces militaires et policières viêts, sauf les plus visibles, n’ont jamais vraiment quitté le Cambodge. Le tout puissant et inamovible patron de la Police nationale cambodgienne, Hok Lundy, est d’origine viêt, de même que quelques grands généraux, hauts fonctionnaires et certains membres du Gouvernement actuel. Sok Kong (un nom de consonance khmère), le véritable maître de l’économie cambodgienne, vient de déclarer qu’il est « fier d’être Viêtnamien ». En provinces, nombre de vice-gouverneurs et de commandants militaires et de la police sont d’anciens « experts » viêts (pendant leur Occupation ouverte de 1979-1989) naturalisés cambodgiens(22).

Mais, les Viêts ne cherchent pas à se mélanger avec les Khmers : ils vivent groupés en des villages très compacts, difficilement accessibles aux non-Viêts, même aux forces de l’ordre cambodgiennes. Des policiers khmers nous ont révélé que « les Viêts gouvernent eux-mêmes leurs villages, assurent leur propre sécurité, règlent leurs conflits entre eux... ». A Phnom-Penh, les cas souvent cités sont les villages viêts de Chhbar Ampeou, Chak Ang-ré, Svay Pak et Tuorl Kork. En 2003, ils ont demandé à créer des sections de leur Association des Vietnamiens du Cambodge (AVC), une organisation sociale pouvant « disposer d'un cachet qui lui est propre », dans Phnom-Penh et dans 18 autres villes et provinces du Cambodge, dont Koh Kong, Stung Trèng et Ratanakiri très peu peuplées de Khmers(23). En janvier 2008, ils ont demandé à ouvrir d’autres bureaux aux villes de Kèp et de Pailin, et dans les provinces relativement désertes aussi de Uddor Meanchey, Mondulkiri et Preah Vihear. Les Viêts sont donc partout au Cambodge. L’AVC est, en fait, la branche « sociale » de la puissante Ambassade du Viêtnam à Phnom-Penh. Son président Chau Van Chi (alias Sum Chi, pour les officiels khmers) est également membre du Conseil national du « Front de la Patrie du Cambodge », un organe du PPC présidé par Chea Sim (président du Parti), Heng Samrin (président de l’Assemblée nationale) et Min Khin (président du Conseil constitutionnel). L’organisation est très influente auprès des Administrations cambodgiennes à Phnom-Penh et surtout en provinces : les autorités doivent d’abord « consulter » ses représentants locaux pour traiter tous les problèmes concernant les Viêts de l’endroit. D’ailleurs, pour le député Son Chhay, « l’immigration des Viêts vers le Cambodge est maintenant plus facile qu’avant encore, grâce à la protection que leur apporte l’AVC »(24).

De son côté, en plus de ses « coopérations fraternelles » et d’incessantes « visites d’échange d’informations » dans tous les domaines sans exception et « à tous les  niveaux »  avec le régime de Phnom-Penh, Hanoi entretient des liens solides avec les Viêt-Kiêu (Viêtnamiens résidant à l’étranger) du Cambodge. Le 1er avril 2004, le PCV a adopté « une résolution visant à impulser le travail à l'égard de la diaspora vietnamienne, tout en contribuant à l'oeuvre d'édification et de défense de la Patrie »(25). En mars 2006, le Premier Ministre viêt Phan Van Khai, en visite au Cambodge, a recommandé aux Viêt-Kieu « d'apprendre le vietnamien à leurs enfants et de conserver l'identité nationale, ainsi que de s'unir pour édifier une vie stable», et a doté l’AVC de 300.000 dollars US pour la réhabilitation des écoles et l'apprentissage du vietnamien(26). En avril suivant, en fêtant à Phnom-Penh le 31e anniversaire de la victoire de Hanoi sur les Américains, ainsi que le 116e anniversaire de la naissance de Ho Chi Minh, Chau Van Chi a déclaré que « les Viêt-Kiêu du Cambodge sont déterminés à contribuer à l’édification du Viêtnam – leur mère-patrie – en un pays prospère », et décidé le lancement de la campagne auprès de ces Viêt-Kiêu à « vivre et suivre l’exemple du Grand Oncle Ho »(27). Il a réclamé d’ailleurs plus d’assistance de la part du Parti et de l’Etat viêtnamiens aux Viêt-Kiêu en difficulté économique ou ayant à faire face aux problèmes administratifs et judiciaires au Cambodge.

 

En août 2007, en visite au Cambodge, le Vice Premier Ministre Pham Gia Khiêm a réaffirmé aux Viêt-Kiêu que « le Parti et l'Etat viêtnamiens ont lancé de nombreuses politiques intérieures et extérieures, afin de défendre les intérêts légitimes des Viêt-Kiêu, de favoriser leur retour au pays pour qu'ils puissent contribuer à l'édification de la Patrie ». Toutefois, il a recommandé aux Viêts du Cambodge « de bien s'intégrer dans leur pays d'accueil, de respecter les lois locales, de stabiliser leur vie, pour pouvoir contribuer leur part au développement du Cambodge et du Vietnam »(28). D’évidence, la politique de « retour au pays » est programmée pour les Viêt-Kiêu des USA, de France ou d’Australie, pour leurs compétences ou pour leurs capitaux. Les Viêt-Kiêu malchanceux ou nostalgiques du Cambodge, eux, savent qu’ils ne sont pas autorisés à rentrer au Viêtnam, en tout cas « ils n’obtiendraient pas de papiers légaux (pour y vivre de nouveau) et leurs enfants ne pourraient y être admis dans les écoles »(29). Hanoi préfère donc apporter toutes sortes d’assistance aux Viêts du Cambodge pour qu’ils restent et s’enracinent plus profondément dans le pays. Puisque leurs compatriotes viennent tous les jours les rejoindre et que l’Empire Viêt est en pleine renaissance.

 

 

(*) in Cambodge. Drames et reconstruction, Revue Conflits actuels, Centre d’études et de diffusion universitaires, 10e année, numéro 20, Paris.

1. : LÊ THANH KHÔI, Histoire du Vietnam, des origines à 1858, Paris : Sudestasie, 1981.

2. FERAY Pierre-Richard, Le Vietnam des origines à nos jours, Paris : PUF, 1996.

3. NGUYEN THÊ ANH,  Le Nam Tiên dans les textes vietnamiens, in Les Frontières du Vietnam : Histoire des frontières de la Péninsule indochinoise, Paris : L’Harmattan, 1989.

4. MASSON André, Histoire du Vietnam, Paris : PUF, 1972.

5. MAK PHOEUN, Histoire du Cambodge, de la fin du XVIe siècle au début du XVIIIe siècle, Paris, EFEO, 1995.

 

6. LECLERE Adhémard, Histoire du Cambodge, depuis le 1er siècle de notre ère, Paris, Geuthner, 1914.

7. DELVERT Jean, Le Cambodge, Paris, PUF, 1983. 

8. DELVERT Jean, Le Paysan Cambodgien, Thèse, Paris, 1961. 

9. PRUD’HOMME Rémy, L’Économie du Cambodge, Paris, PUF., 1969.

 

10. MIGOZZI Jacques, Cambodge, Faits et Problèmes de population, Paris, CNRS, 1973.

11. NEPOTE Jacques, CNRS, Démographie et Société dans le Cambodge des XIXe-XXe siècles, in Mondes en Développement, Paris, Economica, 1979.

12. Moyenne optimiste pour la période 1980-1992 pour un peuple sorti de l’enfer des Khmers Rouges.

13. Publications du Ministère de l’Intérieur, Cambodge, Décembre 2004

14. VIETNAM CULTURAL WINDOW (Magazine), Hanoi, Mai-Juin 2006 - VNA NEWS AGENCY, in English, Hanoi, 05 July 2006.

 

15. BENGE Michael, Cambodia's Killers, FrontPageMagazine.com, March 10, 2006

16. XINHUA, Cambodian ruling party's members surpass 5 million, February 09, 2007,

 

17. BERTRAND Didier, Les Vietnamiens au Cambodge. Relations avec les Khmers et élaboration d'une identité - Étude des modes d'interculturation,  Aséanie, N°2, Novembre 1998, Bangkok, Thaïlande.

18. LUCIOLLI Esmeralda,  Le Mur de Bambou . Le Cambodge après Pol Pot, Régine Deforges, Paris, 1988.

19. REPUBLIQUE POPULAIRE DU KAMPUCHEA, Circulaire-Directive n° 05 SRNN (en khmer)du 26 février 1986, signé par le Premier Ministre Hun Sen..

20. RADIO FREE ASIA, 25/09/2007, Interview de SON CHHAY, Député PSR, par Kem Sos.

21. PEOPLE’S REPUBLIC OF KAMPUCHEA, Ministry of Foreign Affairs, Policy of the People’s Republic of Kampuchea with regard to Vietnamese Residents, September 1983.

22. DY KARETH, Le poids et les mensonges du 7 janvier 1979, Comité des Frontières du Cambodge, Paris, 06 janvier 2008.

23. ROYAUME DU CAMBODGE, Ministère de l’Intérieur, Lettre (en khmer) n°392SC3, du 24 avril 2003, en réponse à Sum Chi, AVC, signée par SA KHENG et YOU HOK KRY, Co-Ministres.

24. RADIO FREE ASIA,13 September 2007, SON CHHAY’s Interview by Kim Pov Sottan.

 

25. AVI, Hanoi, 04/01/2004 -- 18:01GMT+7.

26. AVI, Phnom-Penh, 07 mars 2006.

27. NHAN DAN, April 29, 2006.

28. AVI, Phnom Penh, 22 août 2007.

29. THAYER Nate, Hostile Home: Vietnamese fear expulsion under new law, FEER, October 13, 1994, et: THANH NIEN NEWS (Vietnam), A tough go for Vietnamese on floating houses in Cambodia, Reported by Thanh Dong, February 8, 2007.

 

 

de lui-même. Cette prise de conscience est la seule voie de sauvegarde de la Nation khmère.  

 

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commentaires

M
Grave de constater qu'après avoir lutté contre l'occupation française (colonisation - Indochine), les Vietnamiens colonisent à leur tour le Cambodge, mais aussi le Laos ! triste tout cela.
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M
C'est grave tout cela! Après la colonisation de l'Indochine, une autre forme de colonialisme s'est installé au Cambodge et au Laos dû à l'expansionnisme Viet. Triste constat! les vietnamiens ont fait la guerre d'indépendance pour leur propre pays et maintenant à leur tour, ils colonisent...
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