Éditorial MOULKHMER
Moulkhmer n° 122, octobre 1990
Cette republication a un seul but : Rendre hommage à ceux et celles qui se battaient pour la liberté du peuple khmer et pour la démocratie du Cambodge.
Mauvais départ pour le « C.N.S »
Après la réunion des quatre factions cambodgienne belligérante à Djakarta, les 9 et10 septembre, on avait pu penser un moment que celles-ci étaient enfin « réconciliées ». Ne venaient-elles pas, en effet, de se mettre d’accord pour accepter le projet-cadre de règlement mis au point par les grandes puissances le 28 août, et – conformément à ce plan de paix – pour former un « Conseil National Suprême » (C.N.S) dont il était question depuis des mois ? Mais l’euphorie qui suivit la réunion de Djakarta fut, malheureusement, de courte durée. Car une semaine plus tard, à Bangkok (17-19/9), il est apparu que le « C.N.S », qui tenait sa première réunion dans la capitale thaïlandaise, avait pris un mauvais départ qui laisse mal augure de la suite des évènements.
On aurait voulu croire cependant, avec quelque naïveté peut-être, que la plus urgente préoccupation du « C.N.S » était de discuter les modalités d’un cessez-le-feu et de la proclamer la plus tôt possible. Ne convenait-il pas, en effet, de faire cesser au plus vite les affrontements sur le terrain, pour stopper les pertes en vies humaines causées chaque jour par une guerre civile absurde et meurtrière ? Mais telle n’a pas été la préoccupation majeure des douze membres du « C.N.S », puisque leur première réunion a été consacrée uniquement à des questions de personnes : qui serait le président de ce « Conseil », et qui fera partie de la délégation qu’il verra à l’ONU pour occuper le siège du Cambodge à la place du défunt « GCKD » ? Questions d’intérêt secondaire en vérité, et sur lesquelles un accord aurait dû se faire très rapidement pour passer aussitôt à la seule question qui intéresse réellement le peuple cambodgien : le rétablissement de la paix, dont la première étape ne peut être que la conclusion d’un cessez-le-feu.
Mais le « C.N.S » a préféré discuter en priorité sur ces questions de personnes qui sont une des pires plaies du Cambodge, sur le plan politique, depuis des décennies. Discussions en pure perte, d’ailleurs, puisque les participants ont été incapables de s’entendre sur le choix d’un président, et se sont séparés sans même avoir fixé la date d’une nouvelle réunion. Il ne parait donc pas exagéré de dire que le « C.N.S » a pris un mauvais départ, et qu’ainsi la paix souhaitée se trouve une fois encore retardée.
On comprend mal, du reste, les chamailleries qui ont opposé entre les représentants des factions au sujet du choix d’un président pour leur « Conseil ». Car il est prévu que celui-ci devra fonctionner sur la base du consensus entre les membres qui le composent. Un président, quel qu’il soit, ne sera donc d’aucune utilité – à moins de lui donner une voix prépondérante -, ce qui rompait l’équilibre laborieusement réalisé pour donner un nombre de voix égal à chacun des deux camps antagonistes (soit 6 pour ex-« GCKD » et 6 pour l’actuel régime de Phnom-Penh).
Le mieux serait donc sans doute de ne nommer aucun président, puisque le « C.N.S » sera censé parler toujours d’une seule voix, et de laisser le Prince Sihanouk se soigner à Pékin ses « coliques néphrétiques » (si elles ne sont pas « diplomatiques », comme toutes les maladies qu’il invoque quand cela lui utile). Mais l’ennui, dans cette affaire, est que l’ex-Président de la coalition tripartite(1) (qui est aussi un ex-roi, un ex-chef de l’État, un ex-Leader, etc.) veut la présidence du « C.N.S ». Et il veut en outre que tous les membres de cet organisme le sollicitent de daigner accepter cette présidence. Ce qui est hors de question pour les six représentants de Phnom-Penh, avec Hun Sen à leur tête.
Un compromis sera sans doute trouvé néanmoins si les grandes puissances décident d’en imposer un aux quatre factions, qu’elles ont entrepris de mettre au pas depuis le début de l’année. Il n’en restera pas moins vrai que le « C.N.S » se révèle déjà comme une création artificielles, peu viable, et dont il n’y a rien de bon sans doute à attendre pour le peuple cambodgien. Et cela pour plusieurs raisons.
Ce « Conseil », en effet, est composé de 4 factions qui se détestent et dont la « réconciliation » n’est qu’un leurre. On l’a vu dès sa première réunion à Bangkok. D’autre part, sa représentativité est, pour le moins, discutable. Seules y figurent les dites factions, dont aucune ne peut prétendre à une quelconque légitimité faute d’avoir été mandatées démocratiquement par ceux qu’elles disent représenter. À ce sujet on notera, en passant, que la diaspora cambodgienne – pourtant nombreuse aujourd’hui à travers le monde – n’a pas un seul représentant au sein du « C.N.S ». Pas plus ailleurs que les « Cambodgiens déplacés » (quelque 300 000 actuellement), qui végètent depuis des années dans des « Sites » sur la frontières khméro-thaïlandaise. Ceux-là aussi à notre connaissance, n’ont pas été consultés au sujet de la composition du « C.N.S ».
Mais il y a plus grave que tout cela, car les Khmers Rouges, dont tout le monde dit vouloir empêcher le retour au pouvoir (pour cause de génocide et de crimes contre l’humanité), sont membres du « Conseil ». Et ils y représentés par deux des pires acolytes de Pol Pot : Khieu Samphân et Son Sen. Sans doute ne sont-ils que deux, mais - en raison de la règle du consensus obligatoire – cela est suffisant pour leur permettre de bloquer toute décision du « Conseil » qui ne serait pas à leur convenance. En outre tout en leur mettant le pied à l’étrier pour obtenir au moins une portion du pouvoir à Phnom-Penh. D’ores et déjà, en tout cas, ils se trouvent accrédités, en quelque sorte, pour participer à des élections dont ils devraient pourtant être absolument exclus en raison de leurs crimes passés et présents.
Finalement on se trouve en présence d’un « C.N.S » dont la moitié des membres est formée par les Khmers Rouges et les alliés de ces mêmes khmers Rouges (les factions de Sihanouk et de Son Sann), face à une autre moitié qui s’oppose à eux résolument (tout en étant formée d’anciens communistes cambodgiens « repentis »). On voit donc mal, dans ces conditions, comment ce « Conseil » pourrait fonctionner harmonieusement et sur quelles questions fondamentales et il pourrait réaliser un véritable consensus. À quoi servira ainsi cet organisme quadripartite, qui rassemble des factions qui n’ont aucun désir de s’entendre ? Il ne peut avoir en fait qu’une seule utilité : occuper temporairement le siège du Cambodge à l’ONU, comme le veulent les grandes puissances et les autres pays concernés par le règlement du problème cambodgien. Ceci pour éviter d’épineuses discussions au sujet de ce siège, lors de la nouvelle session de l’Assemblée générale des Nations-Unies qui s’est ouverte à New-York le 24 septembre.
En dehors de cela le « C.N.S » n’aura aucune utilité, avec ou sans président. Tout donne à penser, d’ailleurs, que les « Grands » ont voulu surtout sa création en prévision de cette session onusienne dont la date approchait. Le « Conseil » des factions cambodgiennes ira donc faire de la figuration à l’ONU, si toutefois ses membres se mettent d’accord en temps utile sur la liste, encore à établir, des personnes qui formeront leur délégation commune.
Pour tout le reste – cessez-le-feu -, désarmement des factions, vérification du retrait vietnamien, administration transitoire, organisation d’élections libres – il vaudra mieux s’en remettre aux grandes puissances et à l’ONU. Sous réserve que celle-ci puisse trouver les fonds nécessaires pour le déploiement au Cambodge de « casques bleus » et de fonctionnaires civils onusiens en nombre suffisant. Ce qui n’est pas évident, du reste, puisqu’on parle déjà, à ce sujet, de sommes astronomiques (entre 2 et 5 milliards de dollars US, sinon plus).
Ce que l’on retiendra, en tout cas, c’est que le « C.N.S » a déjà laissé passer à Djakarta du 17 au 19 septembre, une occasion particulièrement favorable pour montrer qu’il voulait être un organisme sérieux et crédible – préoccupé avant tout d’apporter au plus vite la paix au peuple cambodgien. La stupide et vaine querelle au sujet de la présidence du « Conseil » a déjà tout gâché. Le Cambodge et son peuple ne peuvent donc placer leurs espoirs que dans l’action des grandes puissances et de l’ONU, car impossible de se fier à celle d’un organisme qui devrait symboliser la « réconciliation nationale », mais qui se montre déjà profondément désuni. Ce « C.N.S » dans lequel, il ne faut pas l’oublier, trois factions sur quatre œuvrent, directement ou indirectement pour la pire des solutions : le retour des Khmers Rouges au pouvoir.
MOULKHMER
(1)Le Prince a démissionné, une nouvelle fois, de ses fonctions de Président du « GCKD » le 24 janvier dernier.