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2 décembre 2012 7 02 /12 /décembre /2012 16:35

images-copie-3 Éditorial MOULKHMER

 

Moulkhmer n° 130, Mars 1992

  

 

Pénible attente

 

Plus de quatre mois après sa signature, on pouvait avoir l’impression que l’accord de Paris sur le Cambodge, du 23 octobre 1991, n’était déjà plus qu’un mythe et qu’il ne deviendrait jamais une réalité. Sa traduction dans les faits et sur le terrain est, en tout cas, d’une lenteur désespérante. Rien ne bouge, rien n’avance, les semaines passent et on en est toujours à se demander si les ambitieux projets de l’O.N.U finiront par se concrétiser un jour. Autrement dit, si la fameuse 3Autorité transitoire des Nations-Unies (APRONUC) finira par exister là où elle doit être : au Cambodge, et non pas à New-York dans les tiroirs du secrétariat général onusien. Car la réalisation de l’accord de paix dépend essentiellement de l’existence de cette « APRONUC », de son déploiement et de son action au Cambodge pendant une période de 15 à 18 mois (comme l’accord le prévoit). Sa mission préparatoire (MIPRENUC), qui est sur place depuis le début du mois de novembre dernier, n’est, en effet, qu’une simple « poire pour le soif », sans autorité et sans grands moyens, et donc sans utilité véritable. Ce n’est qu’une présence onusienne purement symbolique, et rien de plus. Les choses ne pourront bouger que si l’APRONUC vient enfin prendre la relève, pour jouer le rôle qui lui dévolu par l’accord de Paris. Mais quand viendra-t-elle ?...

 

A vrai dire personne n’en sait rien aujourd’hui. Et cela pour la bonne raison que l’O.N.U n’a toujours pas l’argent nécessaire pour le financement de son APRONUC et des importantes opérations qu’elle devra mener à bien. Il faudra pour cela la bagatelle d’un milliard de dollars, au minimum. En attendant d’avoir obtenu cet introuvable milliard, le nouveau Secrétaire Général de l’O.N.U, M. Boutros Ghali, se contenterait déjà de 200 millions de dollars pour un premier démarrage. Mais cette « modeste » somme n’avait pas pu encore être trouvée au début de février, malgré diverses promesses de contributions bénévoles. On commençait alors à mieux comprendre pourquoi le poste, peu enviable, de chef de l’APRONUC avait été refusé par le diplomate qui était en charge du dossier cambodgien à l’O.N.U jusqu’à la signataire de l’accord de Paris, M.Raffeudin Ahmed. Il devait savoir, mieux que personne, à quoi s’en tenir sur l’inaptitude de l’O.N.U. à financer de vaste opérations au Cambodge. Le haut fonctionnaire onusien qui a accepté le poste à sa place, M. Akashi (Japon), donne déjà des signes d’impatience et doit sans doute se poser des questions. Peut-être se demandera-t-il bientôt dans quelle galère il s’est embarqué en acceptant de devenir le « patron » d’un organisme qui n’existe encore que sur le papier.

 

Cette pénible situation était pourtant prévisible, puisque l’accord de Paris ne contenait aucune disposition précise quant au financement de l’APRONUC – s’étant borné, à ce sujet, à faire appel à « la générosité de la communauté internationale ». Ce qui constituait un pari hasardeux, c’est le moins qu’on puisse dire. Au demeurant le même accord n’indiquait nulle part avec précision à quelle date devait commencer réellement la mission de l’APRONUC. Tout avait été laissé dans le flou, avec un abondant usage du conditionnel, et l’on voit ce que cela donne aujourd’hui. On en est à parler d’avril ou mai prochain, sinon d’une échéance plus lointaine, pour le déploiement complet de l’APRONUC au Cambodge. Le Prince Sihanouk, qui doit tout de même être plus ou moins informé, a d’ailleurs annoncé récemment qu’il sera absent de Phnom-Penh en mars et en avril. Ce qui donne à penser qu’il sait que l’APRONUC ne sera pas encore à pied d’œuvre pendant ces deux mois-là. Il va donc profiter, s’il n’a pas changé d’idée entretemps, pour s’évader un peu de sa cage dorée et aller séjourner, comme il se doit, à Pékin et à Pyongyang chez ses chers amis les communistes chinois et nord-coréens.

 

Dans l’attente prolongée de l’hypothétique arrivée de l’APRONUC, la situation à Phnom-Penh et dans l’ensemble du pays ne s’améliore évidemment pas. Le processus de paix est devenu en fait un processus de pourrissement qui, à plus ou moins long terme, ne pourra profiter qu’aux Khmers Rouges si l’O.N.U ne se décide pas à venir remplir enfin sa mission. Les auteurs du génocide sont bien présents dans la capitale en tout cas, et apparemment bien protégés cette fois. Pour les protéger encore mieux sans doute, le C.N.S. a même décidé le 26 Janvier, sur la proposition du Prince, qu’ils pourront s’installer au Palais Royal. Ce qui constitue, il faut bien le dire, le comble de l’infamie si l’on garde en mémoire l’étendue des crimes qu’ils ont commis à l’encontre du peuple khmer. Mais on savait déjà, il est vrai, que ce n’est pas le souci de la dignité qui étouffe les membres de ce C.N.S.

 

On peut se demander, par ailleurs, à quoi vraiment cet organisme. Car le bilan de ses activités et de ses peu nombreuses réunions est bien maigre depuis son installation à Phnom-Penh. En fait c’est toujours le gouvernement en place qui gouverne, et qui s’est même offert le luxe d’un remaniement ministériel le 31 Janvier. Un remaniement édifiant, car placé sous le signe du népotisme avec la nomination de deux nouveaux vice-premiers ministres dont l’un est un des fils de Sihanouk et l’autre le beau-frère de Chea Sim. Petites affaires de famille, qui ne sont d’aucune utilité pour le peuple cambodgien. Lequel n’a toujours pas son mot à dire, en attendant l’avènement d’un problématique régime démocratique à l’issue d’élections libres promises par l’accord de Paris et qui paraissent, elles aussi, bien problématiques. Deux attentats contre des opposants au régime de Chea Sim et Hun Sen, à la fin de janvier, ont montré du reste que la démocratie à Phnom-Penh et la liberté d’expression des citoyens khmers n’étaient pas pour demain.

 

Quant à la situation économique, elle reste ce qu’elle est – c’est-à-dire tout simplement catastrophique. Et la situation sanitaire est pire encore, si l’on se réfère à une déclaration très pessimiste faite par l’O.M.S. à Genève le 4 Février. Il en sera ainsi, fatalement, tant que l’O.N.U n’aura pas la volonté, et les moyens, de s’occuper sérieusement des problèmes cambodgiens les plus urgents en conformité avec la « déclaration sur le relèvement et la reconstruction du Cambodge » contenue dans l’accord du 23 octobre dernier. Or, pour le moment du moins, cette déclaration reste lettre morte, comme d’ailleurs la quasi-totalité de l’accord en question.

 

On s’aperçoit ainsi que les craintes que nous avions exprimées ici même à maintes reprises quant à une application scrupuleuse de l’accord de paix n’étaient pas injustifiées. Plus le temps passe et plus on est obligé de se remémorer le triste sort de l’accord de Paris du 27 Janvier 1973 sur le Vietnam. Un accord qui n’aura jamais été autre chose qu’un « chiffon de papier », porteur seulement de nouveaux malheurs affreux pour toutes les populations de la péninsule indochinoise. Or nous avion aussi rappelé l’inanité de cet accord de 1973 à l’époque où l’accord de 1991 était sur le point d’être signé. Rappel sans illusion, car il apparait évident que les deux accords avaient été conçus dans le même esprit. Autrement dit pour n’être ni respectés ni appliqués, mais pour permettre seulement à certains pays signataires de se donner bonne conscience tout en se débarrassant de conflits régionaux dont ils ne voulaient plus entendre parler.

 

Naturellement on ne peut que souhaiter s’être trompé en établissant un parallèle entre les accords de Paris de 1973 et de 1991. Rien ne serait plus rassurant pour le Cambodge que d’avoir commis une erreur d’analyse à ce sujet. Mais, malheureusement, cette erreur n’apparait pas jusqu’à présent puisqu’on en est toujours à attendre l’arrivée de l’APRONUC et la mise en application  véritable de l’accord du 23octobre. Or pendant cette période d’attente prolongée, la situation au Cambodge ne peut qu’empirer dans tous les domaines. Les pays signataires, qui ne sont pas moins de 18 (en ne tenant pas compte des 4 factions cambodgiennes), ne semblent cependant pas s’en émouvoir énormément. Ils ont d’autres soucis sans doute, et considèrent  peut-être qu’ils en ont déjà fait assez en formulant – dans l’accord en question – une litanie de vœux pieux sans se préoccuper des moyens concrets de leur réalisation. S’il en était ainsi, il aurait mieux ne pas signer cet accord, pour ne pas faire naître chez les Cambodgiens des espoirs déjà transformés en une profonde désillusion.

 

Les prochains mois verront-ils les choses évoluer, et si oui dans quel sens ? Personne ne saurait le dire aujourd’hui, tout restant suspendu à l’arrivée de la fantomatique APRONUC. Mais même si celle-ci finit par arriver un jour, que pourra-t-elle faire de bénéfique pour le Cambodge ? Rien, en définitive, puisque sa mission ne sera pas de débarrasser le peuple cambodgien de quatre factions dépourvues de toute légitimité mais, au contraire, de les maintenir en place au nom d’une hypocrite « réconciliation nationale ». Comme s’il pouvait y avoir une réconciliation entre tout un peuple victime du génocide et des factions composées des auteurs de ce crime inexpiable  et de gens qui furent leurs associés, à une époque ou à une autre, entre 1975 et 1991 ! Avant de nous envoyer l’APRONUC, qui ne pourra traiter qu’avec ces factions abusivement légitimées sous l’étiquette du « CNS », l’O.N.U ferait donc bien de s’interroger au moins une fois sur les aspirations d’un peuple qui n’a jamais été consulté lorsque fut élaboré un accord qui prétend fixer son avenir.

 

Mais on sait déjà qu’elle n’en fera rien, puisque cet accord n’a été conçu qu’en fonction des intérêts des quatre factions et, plus encore, de ceux de leurs « sponsors » étrangers. On se trouve donc en présence d’un cercle vicieux, qui ne pourrait être rompu que si l’O.N.U consentait à « revoir sa copie » en ce qui concerne le Cambodge – ce qui parait, hélas, fort improbable…                           

             

MOULKHMER
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