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5 septembre 2010 7 05 /09 /septembre /2010 16:24

Histoire de comprendre

Un château de sable

 

Editorial Moulkhmer

 

 

Article publié dans la revue Moulkhmer, n° 128, Août 1991

 

Il faudrait assurément une bonne dose d’optimisme pour croire qu’avec l’accord de paix sur le Cambodge, signé à Paris le 23 Octobre 1991, tout va maintenant s’arranger pour le mieux. Le « règlement politique global » destiné à mettre fin au long conflit cambodgien ne règle rien du tout en effet, sinon sur le papier – comme cela avait déjà été le cas pour un autre accord de Paris, signé le 27 janvier 1973 avec le même faste et qui devait, théoriquement régler le conflit vietnamien. Or on sait quelle succession de tragédie avait engendré cet accord-là, et il faut bien garder cela en mémoire pour ne pas s’exposer à d’amères désillusions à la suite du récent accord sur le Cambodge.

 

Cet accord doit, en principe, ramener la paix sur tout le territoire cambodgien. Mais il s’agit d’une paix immorale, puisque – sous des prétextes très discutables – on y a associé, comme signataire à part entière, les auteurs d’un monstrueux génocide. Lesquels, en d’autre temps, auraient été traduits devant un tribunal international, jugés, condamnés et – pour les plus coupables – promptement envoyés à la potence. Rien de semblable n’a été fait dans le cas du Cambodge, et la paix qu’on nous annonce est donc bien une paix immorale – qui met sur le même pied les bourreaux et leurs victimes. Or une paix immorale ne peut être qu’une mauvaise paix, et une mauvaise paix ne peut produire que des effets pervers et, inévitablement, de nouveaux drames.

 

Mais même en négligeant l’aspect éthique du problème, aspect qui n’a été évoqué d’ailleurs, le 23 octobre, que dans deux discours seulement (USA et Grande-Bretagne), force est de constater que l’accord signé ce jour-là repose sur des bases bien fragiles. Car, en fait, le document principal (d’une quarantaine de pages dans le texte français) est construit sur deux postulats extrêmement hasardeux : la bonne foi et la bonne volonté des quatre « Parties cambodgiennes » signataires (les 4 factions existantes) d’une part, et le bon fonctionnement du « C.N.S. » d’autre part. Or, dans les deux cas, les doutes les plus sérieux sont permis quant à la solidité de ces deux principaux piliers de l’édifice laborieusement échafaudé par la diplomatie internationale.

 

Les quatre factions en effet, depuis 12 ans qu’elles existent, ont surtout montré qu’elles étaient préoccupées essentiellement par le contrôle du pouvoir à Phnom-Penh. C’est leur préoccupée majeure, qui exclut forcément toute idée de coopération sincère entre elles. On sait d’ailleurs – qui pourrait l’ignorer encore aujourd’hui ? – que ces factions se détestent, et que les mots de « réconciliation nationale » n’ont pour elles qu’une signification purement verbale. Dans la réalité, elles sont chacune bien décidées à défendre âprement leurs intérêts respectifs, dans un climat et d’animosité qui était facilement discernable pendant leur récent séjour à Paris. Des déclarations faites par M. Hun Sen le 22 octobre et par le Prince Sihanouk le 23 (aussitôt après la signature de l’accord) sont, à cet égard, très significatives. Il est vrai que lorsque l’on a des partenaires comme les Khmers Rouges la confiance peut difficilement régner…

À ce climat de méfiance et aux intérêts divergents s’ajoutent des querelles intestines au sein des différentes factions. Deux d’entre elles, les deux factions dites « non communistes » sont déjà dans une situation proche de l’implosion. Des clans s’affrontent et se déchirent au sein de ces deux factions, pour lesquelles les questions de personnes – et donc d’intérêts personnels, le plus souvent – jouent un rôle prépondérant. Pour l’une d’elles, le « FNLPK », c’est l’autoritarisme de son leader nominal qui a déclenché une crise interne qui dure depuis 1985, et qui n’a fait qu’empirer d’année en année. Pour l’autre, le « Funcinpec », trois clans au moins s’opposent entre eux, et le Prince Sihanouk paraît incapable de ramener la concorde au sein de son propre mouvement. Comment pourrait-il alors prétendre « réconcilier » l’ensemble des Cambodgiens dont beaucoup, d’ailleurs, n’oublient pas sa responsabilité personnelle dans toutes les tragédies survenues depuis 1970 ? Quant aux deux autres factions, qui prétendent l’une et l’autre n’être plus communistes, leurs désaccords internes sont moins voyants, elles savent mieux les camoufler, mais il y a lieu de penser qu’ils existent bel et bien.

 

Dans ces conditions, comment fonctionnera le « C.N.S. » - et pourra-t-il seulement fonctionner ? La question se pose dès maintenant, puisqu’on sait déjà que les Khmers Rouges n’ont aucune envie de revenir à Phnom-Penh actuellement et que M. Son Sann, de son côté, est très réticent en ce qui concerne son propre retour. Or si le « C.N.S. », pour une raison ou pour une autre, ne peut pas se réunir dans la capitale cambodgienne le 20 novembre comme prévu tout l’édifice péniblement échafaudé par l’accord de Paris risque alors de s’écrouler. Il en serait de même, d’ailleurs, si la réunion avait lieu et n’aboutissait qu’à de nouvelles querelles interfactions.

 

C’est dire combien est fragile un accord qui repose, pour une large part, sur un fonctionnement de ce « Conseil » et sur une « réconciliation nationale » très hypothétique. L’accord « historique » du 23 octobre 1991 pourrait dont fort bien n’être qu’un château de sable, qu’une seule vague suffit à démanteler. La dislocation ou la paralysie éventuelles du « C.N.S. » ne constitueraient pas cependant un irréparable malheur pour le peuple cambodgien. Car, d’une part, il s’est bien passé de ce « Conseil » jusqu’à maintenant et, d’autre part, il n’a aucune envie de voir revenir les Khmers Rouges – dans le cadre du « C.N.S. » précisément.

 

Le non-fonctionnement ou mauvais fonctionnement de cet organisme composé de factions si peu disposées à s’entendre ne sont, évidemment, que des hypothèses évoquées seulement pour illustrer la fragilité de l’accord de Paris sur le Cambodge. Mais d’autres problèmes, qui ne vont pas tarder à se poser, illustreront aussi cette fragilité. Notamment en ce qui concerne le contrôle du cessez-le-feu annoncé le 24 juin dernier. Comment s’effectuera ce contrôle et par quels moyens ? Qui pourra se charger d’un désarmement réel des forces des différentes factions, et surtout de celles des Khmers Rouges ? On ignore tout, du reste, des moyens et effectifs que l’O.N.U. engagera pour effectuer ce désarmement et pour mener à bien les nombreuses autres tâches que l’accord de paix lui assigne, puisque cet accord ne fournit guère de précision et ne donne aucun chiffre à ce sujet.

 

Sans doute faut-il féliciter, malgré tout, des bonnes intentions qui abondent dans l’accord en question. Mais sans trop d’illusion, surtout si l’on garde en mémoire le triste sort qu’a connu l’accord du 27 janvier 1973 sur le Vietnam. On ne peut manquer de noter, par ailleurs, que l’accord de paix sur le Cambodge présente de nombreuses et graves lacunes. Ainsi, par exemple, le document principal ne contient, en tout et pour tout, que 5 lignes au chapitre des garanties internationales (article 18). Il y a bien, il est vrai, un document séparé sur le même sujet, mais si vague et si inconsistant qu’on est forcé de comprendre que ces « garanties » ne sont guère autre chose que du vent. Quant aux autres lacunes du document principal, elles sont tout aussi préoccupantes. Il en est ainsi, entre autres, du problème des « colons » vietnamiens, auquel l’accord ne consacre pas une ligne. Et on pourrait aisément multiplier les exemples.

 

D’où la question qui se pose dès maintenant : Combien de temps va pouvoir tenir un tel château de sable ? Trois mois, six mois, ou bien un an ou deux ? L’avenir seul le dira, mais il est vraisemblable que la réponse ne se fera pas attendre pendant des années. Elle viendra à court ou à moyen terme. D’ici là le Cambodge connaîtra peut-être un certain répit, jusqu’à des élections qui n’offriront pas à son peuple des choix bien réjouissant, et ce sera toujours autant de gagné. Mais pendant ce répit, et dans l’attente de l’écroulement presque inéluctable du château de sable, il faudra savoir préparer l’avenir. En comptant d’abord sur soi-même plus que sur l’O.N.U., qui ne fera aucun miracle, et qui commettra une erreur monumentale si elle continue de confondre le cas du Cambodge avec celui de la Namibie. Il n’y a rien de commun en effet entre deux situations, et l’autorité onusienne de tutelle (« APRONUC ») finira bien par s’en apercevoir en 1992, quand elle sera à pied d’œuvre. Il faut souhaiter seulement qu’elle ne s’en apercevoir pas trop tard, lorsque les nouveaux drames résultant d’une paix mal faite ne seront déjà plus évitables.

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