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27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 06:27

 

images-copie-3 Éditorial MOULKHMER

 

Moulkhmer n° 123, décembre 1990

 

 

Proverbe : Il ne faut jamais lancer de pierre quand on habite une maison de verre.

 

Voyage en Thaïlande en 2007 332

 

Un plan de paix bien étrange

 

Après des mois de conciliation entre représentants des pays concernés – à l’exception du Cambodge, le principal intéressé – le projet d’accord sur les modalités de règlement du problème cambodgien a été finalement mis au point le 25 novembre. Le « produit » se présente sous la forme d’un épais document qui, avec ses annexes, ne compte pas moins de 48 pages (dans le texte en anglais). Le titre de ce document est long et plutôt troublant : « Structure proposée pour les accords sur le règlement politique compréhensif du conflit cambodgien ». Or que faut-il entendre par là ? À vrai dire c’est surtout le terme « compréhensif » qui est assez singulier.

 

 

Il est en tout cas démenti par le contenu du document en question. Peut-on parler, en effet, de règlement compréhensif » à propos du Cambodge lorsqu’il s’agit d’un règlement dans lequel les Khmers Rouges, auteurs d’un monstrueux génocide, sont partie prenant et tacitement absous de leurs crimes ? Est-ce se montrer « compréhensif » à l’égard du peuple cambodgien que de passer sous silence le génocide, de ne jamais désigner les Khmers Rouges par leur nom, et de se contenter de faire allusion à « des politiques et pratique du passé » dont ont dit vouloir empêcher le renouvellement ?...

 

Sans doute ne fallait-il faire aucune peine, même légère, à la Chine communiste protectrice des Khmers Rouges. Cette Chine des massacres de Tien-An Men, tout aussi vite oubliés par la communauté internationale que le génocide cambodgien. Dans quel monde vivons-nous ? C’est la question qu’on peut vraiment se poser à propos de ce « règlement politique compréhensif » élaboré pour le Cambodge.

 

Car s’il est une puissance qui peut se réjouir de ce projet de règlement, c’est bien la Chine précisément. Non seulement il n’est pas question de faire enfin juger et condamner ses protégés par un tribunal international, mais encore on passe l’éponge sur leurs crimes inexpiables et on les associe – à égalité avec leurs victimes – au processus de règlement devant aboutir à des élections « libres et honnêtes » (free and fair election) – auxquelles ces mêmes Khmers Rouges pourront évidemment prendre part ! Il est vrai toutefois que le projet contient, dans ses 48 pages, un chapitre sur les droits de l’homme (Partie III, articles 15,16 et 17) et qu’il ruisselle de bonne intention. Comme le chemin de l’Enfer, dont on dit en français qu’il est « pavé de bonne intention ».

 

Si on laisse de côté l’aspect moral de la question, pour s’en tenir seulement aux aspects pratiques, on s’aperçoit vite que le projet d’accord élaboré pour le Cambodge a toutes les chances d’être irréalistes sur le terrain. Certes, tout est prévu et réglé dans les moindres détails, sur le papier tout au moins, et l’énumération des fonctions dévolues à la future « Autorité transitoire des Nation-Unies pour le Cambodge » (UNTAC) est d’une minuterie comparable à celle d’un compte d’apothicaire. Malheureusement on nage dans l’abstraction, loin des réalités et des contingences, et les vœux pieux remplacent trop souvent les mesures concrètes sur des points essentiels.

 

Tel est le cas, en particulier, pour le point le plus essentiel, car toute la suite en dépend, à savoir l’instauration d’un cessez-le-feu. Car les dispositions contenues dans le projet d’accord sont, à cet égard, déconcertantes – c’est le moins qu’on puisse dire. Il est question en effet (à la page 21 du texte anglais) d’un « cessez-le-feu compréhensif ( ?) sur terre, sur mer et dans les airs » qui devra être respecté par « toutes les parties cambodgiennes ». Ce cessez-le-feu prendra effet au moment où l’accord entrera en vigueur, est-il dit à la page 5 du document. Mais comment prendra-t-il effet, et qui le contrôlera dès la première heure ? Pour le savoir, prière de chercher la réponse à la page 21. On découvre alors, non sans étonnement, qu’il devra être réalisé en deux phases dont la description parait ahurissante, pour ne pas dire totalement irréalisable quand on a affaire à des gens comme les Khmers Rouges. Mais ici, pour en juger, rien ne vaut le texte lui-même (traduit de l’anglais) :

 

«Durant la première phase, le cessez-le-feu sera observé (par les factions) avec l’assistance du Secrétaire-Général des Nations-Unies par le moyen de ses bons offices. Durant la 2e phase, qui devrait commencer aussitôt que possible, le cessez-le-feu sera supervisé, contrôlé et vérifié par l’UNTAC. Le commandant de la composante militaire de l’UNTAC, en consultation avec les Parties (cambodgiennes), fixera le moment exact et la date à laquelle commencera la 2e phase. Cette date sera fixée au moins 4 semaines avant son entrée en application»…

 

…«Pendant la première phase, le Secrétaire-Général des Nations-Unies fournira ses bons offices aux Parties pour assister dans son observation (le respect du cessez-le-feu). Les Parties s’engagent à coopérer avec le Secrétaire-Général ou ses représentants dans l’exercice de ses bons offices à ce sujet»…etc.

 

Ce galimatias, vrai petit chef-d’œuvre d’abstraction mais de naïveté (innocente, espérons-le), soulève plus de question qu’il n’apporte de réponse. En effet, en quoi consisteront les « bons offices » du Secrétaire-Général de l’O.N.U, et comment pourra-t-il les exercer si la « composante militaire » de l’UNTAC n’est pas encore sur le terrain pour surveiller les choses de pré ? Quand commencerait réellement la 2e phase ? Qui peut vraiment affirmer que les Khmers Rouges coopéreront en toute bonne foi avec les représentants du Secrétaire-Général de l’O.N.U pendant la première phase du cessez-le-feu, dont la durée reste indéterminée ? Et comment les choses se passeront-elles concrètement sur le terrain pendant cette première phase ? Mystère, mystère sur toute ligne.

 

Et que dire de la suite du texte, toujours en ce qui concerne le cessez-le-feu ? Faut-il sourire ou s’indigner quand on lit que « les Parties (cambodgiennes) observeront scrupuleusement le cessez-le-feu et ne reprendront aucune forme d’hostilités sur terre, sur mer, et dans les airs (page 23 du texte anglais, paragraphe 6) ? Car à qui fera-t-il croire que les Khmers Rouges (sans parler des autres factions) vont réellement observer « scrupuleusement » un éventuel cessez-le-feu ? Depuis quand sont-ils devenus des gens « scrupuleux » ?...

 

On pourrait continuer ainsi pendant des pages si l’on voulait décortiquer, paragraphe après paragraphe, le projet de « règlement politique compréhensif » destiné à mettre fin au conflit cambodgien. Mais il s’agit d’un texte si indigeste et abstrait, en dépit d’une minutie des détails qui le rend irréalisable, que cet exercice deviennent vite fastidieux. On peut supposer d’ailleurs que les lecteurs aimeront plutôt savoir, par exemple, quel rôle sera dévolu au « Conseil National Suprême » cambodgien (CNS) dans le mécanisme compliqué du projet d’accord. Sur ce point la réponse est simple, car ce rôle sera pratiquement nul. Le texte stipule en effet, ce que l’on savait déjà, que le « CNS » déléguera aux Nations-Unies « tous les pouvoirs nécessaires pour assurer l’application de cet accord ». Autrement dit, le seul et véritable « patron » sera l’UNTAC et le « CNS » n’aura pratiquement rien à dire, il ne sera là que pour faire de la figuration.

 

Dans ces conditions la longue querelle suscitée par le Prince Sihanouk au sujet de la présidence de ce « CNS » qui n’aura aucun pouvoir apparait bien futile. Les factions auraient pu faire l’économie de cette stupide et dérisoire querelle, puisque de toute manière elles devront se plier aux ordres de l’UNTAC pendant toute la période transitoire. Quant aux élections libres – si jamais elles ont lieu un jour – elles seront organisées par l’UNTAC également, qui s’arroge en fait tous les pouvoirs et tous les droits.

 

Le projet de « règlement politique compréhensif » a donc tout prévu. Sauf une chose cependant, et qui est d’une certaine importante : que se passera-t-il quand la mission de l’UNTAC aura pris fin ? Le projet, ils sont sûrs de rester partie prenante. Ce qui permet dès maintenant d’imaginer la suite…

 

…À moins que ledit projet n’ait été rejeté entretemps par l’une des factions cambodgiennes lors de leur réunion qui devait se tenir à Paris les 21 et 22 décembre. Dans cette hypothèse ce serait le retour à la case départ, avec le projet de règlement - « compréhensif » mais difficilement compréhensible – enterré, sinon définitivement du moins pour une longue période. Faudrait-il le regretter, sachant qu’en fin de compte ce sont les Khmers Rouges qui auraient été les principaux bénéficiaires de ce singulier projet ?...      

 

 

MOULKHMER

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commentaires

R
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> C'est avec plaisir que je redécouvre les anciens numéros de Moul Khmer en ligne. Beaucoup d'eau a coulé sous le pont, j'espère l'équipe éditoriale se porte bien. Vos articles en Cambodgien sont<br /> très intéressants, seulement la mise en page au format HTLM fait que ce n'est pas très lisible. Je me demande si vous ne pourriez pas les transformer en fichiers pdf téléchargeables, avec une<br /> bonne mise en page, les yeux feront moins d'efforts pour lire.<br /> D'autre part, je voudrais juste vous signaler la présence de "coquilles" comme le mot "subjectivité" en Cambodgien qui s'écrit comme ci-dessous selon l'excellent dictionnaire bilingue<br /> anglais-khmer sealang.net/khmer: អត្តនោម័តិ.<br /> <br /> <br /> Bon courage et merci d'avoir mis en ligne des articles de Moul Khmer<br /> <br /> <br /> Bien à vous tous.<br />
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