Vertu et compétence
Ces deux mots ont la même valeur pour un homme qui s’incarne une morale. Et la morale qu’on demande aujourd’hui à tous les hommes qui ont des responsabilités envers la société, c’est d’être intègre vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des autres. C’est à partir de là, on commence à faire la distinction entre la vertu et la compétence. En gestion des ressources humaines, on cherche à savoir chez l’homme, sa compétence statutaire et sa compétence personnelle ou ses compétences techniques et son état d’esprit. On ne peut pas être un bon contrôleur de gestion, mais être mauvais en tant qu’être humain. Par là, on place toujours la valeur morale en premier avant de parler la valeur technique. Et c’est ce dont qui représente l'humanité : la science sans la morale (vertu) n’est qu’une ruine de l’âme. La vertu est vue dans ce sens comme des états d’âme salutaires. C’est en basant sur la vertu que l’homme sage cultive en lui-même les cinq facultés : foi, énergie, réflexion, recueillement et sagesse. Celui qui a l’âme bonne est bon. Et cette qualité ne demande pas la compétence quelconque. Il suffit être juste vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des autres.
Dans le monde d’aujourd’hui où la technique est le déterminant du progrès, on voit apparaître une nouvelle classe des technocrates et la technostructure(1) qui se sont emparées des leviers du pouvoir. Un technocrate, par ses aptitudes intellectuelles et une maîtrise plus grande sur les techniques ou les savoirs spécialisés, est supposé compétent. Jacques Ellul publie La Technique ou l’enjeu du siècle (1954). Il y écrit : « Tout ce qui est techniquement possible sera réalisé, car la technique est devenue autonome et forme un monde dévorant qui obéit à ses propres lois ».
Or la compétence appelle à la fois la capacité et la responsabilité. Pour exercer une fonction, la personne doit d’abords avoir une capacité et être désignée pour assumer une responsabilité. La responsabilité est statutaire, la capacité est technique ou savoirs spécialisés. Mais la responsabilité appelle aussi la morale, parce qu’elle a une fonction sociale : une coopération entre les individus dans une organisation sociale, d’une part, une représentation d’une image d’une société, d’autre part. Et la morale, c’est la vertu.
Une personne, étant considérée comme compétente, devrait donc posséder trois qualités : la capacité (savoirs), la compétence (désignation) et être vertueux (état d’esprit). La vertu est un état d’esprit qu’est propre à l’individu qui est appelé à assumer une responsabilité. Chez lui, dans son état d’esprit, il y a deux espaces, privé, public.
L’espace privé est sans doute la zone la plus délicate à explorer, parce qu’il est souvent protégé par la loi. Un exemple : Quand une personne est appelée à prendre une responsabilité quelconque, celle-ci n’est pas dans l’obligation de fournir tous ses dossiers médicaux. Une visite médicale à l’embauche et périodique pour savoir son aptitude physique à travailler est une seule exigence aux yeux de la loi. En outre, l’espace privé ne comporte pas seulement l’état de santé, il y a aussi l’état comportemental. Dans la gestion des ressources humaines, il y a une myriade de méthodes de test pour identifier l’état comportemental d’un homme. Mais celles-là ne sont jamais utilisées quand il s’agit de recruter un gestionnaire ou un technocrate de haut vol pour assumer un poste de haute responsabilité, parce que les candidats postulés sont souvent des personnalités puissantes connues au grand public, dont l’espace privé soit cadrés par les lois, soit protégé par la loi d’omerta, soit relativisé par la puissance de leurs savoirs spécialisés. Leurs diplômes ou leurs capacités d’expertise et leur position sociale, sont placés, en effet, au-dessus de tous soupçons.
L’espace public est scruté à la loupe par le média. Exemple : le Curriculum vitae d’un ministre ou d’un responsable d’une grande entreprise publique est examiné de A à Z par les voyeurs professionnels. Chaque zone d’ombre est immédiatement étalée au grand public et exigée d’emblée des explications. Dans les pays de grande démocratie, l’espace public est transparent. Mais souvent, cet espace est protégé par le pouvoir public au nom du secret de l’Etat ou celui de la défense. Lionel Jospin avait inventé un concept moral : Un ministre étant mis en examen par la justice doit démissionner. Cette démission ne met pas en cause la capacité et la compétence du démissionnaire, mais on préfère laisser la justice vérifie les faits dont il est accusé.
Dans la lettre de Christophe Barbier à M. Dominique Strauss-Kanh, l’auteur écrit ainsi : « …afin d’être utile à nouveau « utile au bien public », puissiez-vous comprendre qu’il faut, pour servir ce « bien public », s’efforcer de bien se tenir en privé ».
Privé-Public « mon point de vue en matière de l’« utile au bien public » est qu’il faut un pied de chaque côté pour garder l’équilibre comportemental. Bérégovoy disait « avoir le diplôme, c’est bien, mais avoir la tête saine, c’est encore mieux ».
(1) le terme « technostructure » a été forgé par John K. Galbrait dans les années 60 pour désigner un nouveau groupe social : celui des gestionnaires et des managers dans les entreprises, celui des technocrates et des fonctionnaires dans les administrations. Cette nouvelle élite, qui fonderait sa légitimité sur la compétence technique et les savoirs spécialisés, auraient conquis le pouvoir dans les sociétés modernes.